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elle être marquée sur ces populations françaises issues du croisement des Celtes, des Franks, des Romains et d’autochthones sans nom ? Il serait difficile aussi de dire dans quelle mesure les Phéniciens, les Juifs, les Maures, les Bohémiens, les Goths et les Celtes ont modifié le fond ibérique des habitans de l’Espagne ; mais, en dépit de la diversité de tous ces élémens, la fusion ne s’en est pas moins définitivement faite ; quelles que soient les vanités nationales, il est désormais impossible de contester l’entrée dans la grande fraternité humaine à cette race multiple produite par l’union de tant de races autrefois distinctes et ennemies.

À ce point de vue, le mélange graduel des Basques avec les autres populations de l’Europe occidentale est un des faits les plus considérables de l’histoire. Par leurs traits physiques, leur langue, leurs traditions et leurs mœurs, ces hommes constituent sans aucun doute une race à part. Ils ne descendent point de la souche aryenne, dans laquelle nombre de savans, mus par un mauvais sentiment d’orgueil, voient la seule race vraiment humaine, la seule digne des lumières de la raison et des joies de la liberté, et cependant les aborigènes euskariens peuvent entrer de plain-pied dans la société moderne ; ils sont déjà nos frères par le sang et par l’intelligence, ils partagent nos destinées sans se montrer en rien nos inférieurs. Et, tandis qu’au pied des Pyrénées s’accomplit cette fusion entre des races d’origine complètement distincte, nous voyons des croisemens analogues s’opérer sur le nouveau continent d’Amérique entre les rouges, les nègres et les blancs de toutes les parties du monde. Quoi qu’on en dise, ces métis, dont les ancêtres doivent être cherchés à la fois sur tous les continens, n’ont pas moins de vitalité que les Aryens d’Europe et d’Asie, et leur cœur est assez haut pour qu’ils sachent fonder et maintenir des sociétés libres. Pour nous, qui cherchons l’unité de la race humaine non dans le passé, mais dans l’avenir, cette alliance de plus en plus intime entre les diverses familles d’hommes est le commencement de cette union qui finira par transformer en une seule humanité tous les peuples de la terre. Comme de nombreuses rivières qui de points opposés se précipitent vers une même vallée pour se rencontrer et s’unir en un fleuve superbe, de même les races écloses sur les continens épars se rapprochent les unes des autres, et tôt ou tard les hommes se reconnaîtront comme frères, ayant le même sentiment de leurs droits, le même idéal de justice et de vertu.

Élisée Reclus.