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Plus morte que vive, mais puisant quelque courage dans le sentiment de son innocence : — Je ne sais, repartit-elle, quand vous vous lasserez de me persécuter, ni ce que je dois attendre de vous, si vous pensez m’avoir jusqu’ici ménagée...

— N’attendez pas autre chose, interrompit le président, si ce n’est qu’on en use avec vous comme avec la dernière personne du monde. Quant à moi, dont vous semblez faire si petite estime, je ne garderai certainement pas à votre égard la retenue que je m’imposais depuis quelque temps.

— Et moi, reprit Mme de Novion avec un éclat de larmes, si vous ne vous en imposez pas davantage, comptez que je ferai tout au monde pour me retirer de vos mains. La mort elle-même me paraît moins redoutable que la perspective de passer auprès de vous le reste de mes jours.

Ainsi parlait-elle avec une hardiesse qui l’étonnait elle-même, mais croyez bien qu’elle palpitait en son for intérieur comme la jeune brebis sous la dent du loup, car toute sorte de noirs desseins se lisaient dans les yeux de l’espèce de furieux qui l’accablait ainsi de menaces. Bientôt, hors d’état de supporter les regards presque outrageans qu’il promenait sur toute sa personne, elle voulut se glisser dans un cabinet voisin de sa chambre; mais il y entra du même trait, forçant la porte qu’elle voulait pousser derrière elle. Pour le coup, folle de terreur et dispensée, croyait-elle, de tous ménagemens, elle ouvrit précipitamment la croisée, puis penchée en avant, prête à se précipiter sur le pavé de la rue, elle appela au secours d’une voix éclatante. Le président stupéfait n’osait plus faire un pas vers elle, et quand il entendit au dehors, avec le bruit des fenêtres voisines qui s’ouvraient une à une, poindre les premiers éclats de la rumeur publique, il battit précipitamment en retraite, laissant cette belle et malheureuse personne réfléchir douloureusement aux angoisses de sa situation présente, aux appréhensions d’un avenir presque désespéré.

Il fut fort question le lendemain dans tout le quartier de l’agitation nocturne causée par les cris qu’on avait entendus partir de l’hôtel de Novion, et comme il fallait bien ou mal expliquer ce tumulte, il se répandit que la bru du président, rentrant chez elle à une heure avancée de la nuit, avait entendu des voleurs qui s’efforçaient de pénétrer dans ses appartemens en crochetant une porte. De proche en proche, l’incident arriva suffisamment grossi jusqu’aux oreilles du marquis de Fresne (le frère aîné de l’odieux d’Egvilly). On le voyait assez fréquemment chez les Novion, mais jusqu’alors, grâce aux précautions jalouses dont nous avons parlé, il ne s’était rencontré qu’à de rares intervalles avec la périlleuse beauté