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Quand il entra, le mari lisait auprès du feu; la femme, assise devant son miroir, ajustait sur ses belles épaules nues un collier de diamans. Tous deux à sa vue se levèrent avec une exclamation bien diverse d’accent et dictée par des sentimens bien opposés. M. de Novion fit ensuite tout ce qu’il put pour dissimuler son humeur, et sa femme n’omit rien pour déguiser la joie que ses premiers regards avaient clairement manifestée. M. de Fresne n’était pas le moins embarrassé des trois, ayant à se montrer froid et compassé dans un instant où mille émotions contraires agitaient son âme. A peine osa-t-il se rapprocher de la glace où étaient réfléchis les traits adorés de Mme de Novion. Ce fut elle qui, achevant à la hâte ses derniers préparatifs, vint s’asseoir entre M. de Novion et le marquis; mais elle n’y demeura guère, la conversation n’ayant pas tardé à prendre une tournure fâcheuse. M. de Novion reprochait assez aigrement à son hôte d’être revenu de l’étranger avant que ses affaires ne fussent arrangées définitivement. Sa femme répliqua que tout le monde blâmait M. de Fresne pour s’être rendu inutilement suspect en s’éloignant, lorsqu’il n’avait rien à craindre des investigations de la justice. — Eh! qui vous demande votre avis? repartit le gnome avec dépit. Mêlez-vous de vos affaires, et prenez garde aux mauvais conseils que vous pourriez donner.

— J’ai, pour les croire bons, l’avis de mainte personne sensée, répliqua la dame en se levant comme pour partir; mais son mari lui déclara qu’il n’entendait pas sortir ce soir-là et qu’il comptait sur elle pour lui tenir compagnie. Une scène conjugale était imminente, car de premier mouvement Mme de Novion avait paru vouloir résister à cet absurde contre-ordre, lorsque sur un signe d’elle le marquis se hâta de prendre congé.

Bien qu’il se méfiât très légitimement des conseils du président et plus encore de ceux que lui donnait d’Egvilly, M. de Fresne jugeait périlleux de les avoir pour adversaires déclarés. Aussi accepta-t-il les mensongères explications qui lui furent données relativement à la présence suspecte de sa partie adverse dans l’hôtel de Novion, et de plus il crut devoir consentir à s’absenter de Paris durant quelques semaines, en apparence pour déférer à l’avis de ses perfides ennemis, en réalité pour se procurer quelques supplémens d’information qui lui semblaient indispensables. Il passa ce temps-là chez M. le comte de Meaux, dans sa terre de Champrond, et revint ensuite assez brusquement, avec le dessein formel de se constituer cette fois prisonnier, en dépit de toutes les objections, de toutes les menaces de son prétendu protecteur, « qui devait, disait-il, l’abandonner à son malheureux sort, s’il persistait dans cet imprudent projet, afin de ne partager point aux yeux du monde la