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président et d’Egvilly fondaient sur le fâcheux éclat qu’ils venaient de provoquer ainsi; mais un incident qu’ils firent naître quelques jours avant le prononcé de l’arrêt leur fournit l’occasion, longtemps attendue par eux, de substituer l’action secrète de l’autorité royale aux investigations publiques de la justice. D’Egvilly, qui gardait encore quelques dehors vis-à-vis de son frère, vint lui porter à signer un acte ayant pour objet d’enlever à leur mère la tutelle d’un frère cadet encore en état de minorité, pour faire passer cette tutelle aux mains de d’Egvilly. Comme ce dernier avait pu le prévoir, le marquis refusa nettement de souscrire à une si injuste requête, et son frère, qui n’attendait que ce prétexte de rupture, éclata tout aussitôt. — Je vois bien, lui dit-il devant cinq ou six témoins amenés tout exprès, que vous êtes dans l’intérêt de notre mère; il y a longtemps, quant à moi, que je suis dans ceux de votre femme. Je l’ai tu jusqu’ici en vue de certaines considérations; mais je trouve bon de ne plus vous le laisser ignorer, en vous annonçant que je la servirai de tout mon pouvoir.

— Ne croyez pas, repartit M. de Fresne, que vous m’appreniez rien de bien nouveau. Ce qui me surprend toutefois, c’est que vous soyez assez malavisé pour venir chez moi me braver en face. Si je n’étais plus sage que vous, cette impertinence vous coûterait cher, mais je me bornerai à vous prier de ne pas mettre ma patience à une seconde épreuve.

D’Egvilly partit de là, — non sans quelques autres propos outrageans, — pour aller se plaindre au président des atroces menaces que lui avait adressées, disait-il, son frère aîné. L’occasion était trouvée et trouvée au moment propice. Novion, qui venait de rendre quelques obscurs services à un homme fort accrédité près du roi, dressa, d’accord avec son digne allié, une plainte calomnieuse dont le grand personnage en question consentit à se porter garant, et à laquelle ils en joignirent une autre, signée de Mme de Fresne. Ainsi fut obtenu, non sans quelque difficulté, l’ordre d’emprisonner le marquis. Dès le lendemain à six heures du matin, un exempt de police, stylé par d’Egvilly, vint surprendre le malheureux dans son lit, apposa les scellés sur tous ses papiers (mesure dictée par le désir qu’avait le président de saisir, pour en user ensuite à sa guise, les lettres de sa belle-fille), et sans même lui laisser le temps de passer ses habits, en robe de chambre, tel qu’il se trouvait, on le jeta dans un carrosse qui le transporta jusqu’au seuil de la citadelle d’Amiens.

En y entrant, le prisonnier ne savait encore ni pourquoi on l’avait arrêté ni le nom de ses dénonciateurs, et il ne fut éclairé (sur ce dernier point seulement) qu’après quelques jours. Il apprit en même temps que sa mère était allée vainement solliciter pour lui la clé-