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elle était plus jalouse encore que de sa liberté. Il la contenait du haut du Castelletto par une forte garnison qu’il y avait placée sous le maréchal Théodore Trivulzi, qui en était le gouverneur militaire, mais qui ménageait avec une prudence italienne l’administration intérieure de l’état, exercée par les citoyens eux-mêmes. Malheureusement pour la durée de sa domination, François Ier voulut faire de Savone une rivale de Gênes. Il y éleva des fortifications, y appela le commerce, y attira les navires de la Méditerranée, y établit enfin le marché du sel qui se consommait en Lombardie et qui jusque-là s’achetait à Gênes. Ce dernier point seulement était une perte annuelle de 50,000 écus pour la vieille république, exposée à une ruine prochaine. La rivalité menaçante d’une ville maritime placée dans le voisinage de Gênes et autrefois sous sa dépendance alarma les Génois de tous les partis, qui invoquèrent l’assistance généreuse de leur puissant concitoyen.

André Doria prit vivement en main la cause de sa patrie; il réclama auprès de François Ier la restauration indispensable des commerces et des gabelles dans Gênes, comme il l’écrivait dans une lettre éloquente et altière à François Ier[1], et il ne fut pas écouté; il devint même importun et suspect. Loin de faire droit à ses plaintes et de conserver ses services, François Ier l’irrita et l’écarta. Il donna le commandement de ses navires dans la Méditerranée au seigneur de Barbesieux qu’il y fit venir des côtes de l’Océan, et, sur les conseils violens du chancelier Du Prat, il se décida même à faire arrêter à Gênes André Doria. Il résolut de prendre cette dangereuse mesure malgré les supplications de Lautrec, qui lui avait envoyé du fond de l’Italie Langey Du Bellay pour qu’il gardât en le satisfaisant un serviteur si nécessaire[2]. La connaissance de ce grave désaccord entre le roi de France et son lieutenant-général dans la Méditerranée était arrivée, par diverses voies, et au camp et à Naples, avant le mois de juin, à la fin duquel expirait l’engagement maritime d’André Doria.

Aussi, pendant que Lautrec dépêchait à François Ier le seigneur de Langey, qui vit, en passant par Gênes, le grand marin irrité avec lequel il était en longue familiarité et dont il reçut les plaintes et porta les conditions, le prince d’Orange écrivait à Charles-Quint de le gagner par des offres séduisantes. « Sire, lui disait-il, depuis vos galères perdues, j’ai entendu par le comte Philippino Doria, en pratiquant pour la rançon de plusieurs prisonniers, comme Andréa Doria est fort malcontent du roy de France et qu’il chercheroit de

  1. Lettre d’André Doria, du 13 avril 1528. — Mss. français, vol. 3005, f° 32 et suiv.
  2. « De quoi arriva depuis l’entière ruine de nostre armée de Naples. » Mémoires de Du Bellay. — Collection Petitot, vol. XXIII, p. 67.