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auprès des princes, mais don Inigo de Tovar s’y refusa. Bordin le supplia de permettre au moins qu’il les revît encore une fois pour leur donner deux toques de velours noir garnies de broderies d’or et de plumes blanches dont il avait à leur faire présent. Il ne l’obtint pas davantage. Seulement le marquis consentit à ce que Bordin envoyât chercher à son hôtellerie ces toques qu’il baisa, lorsqu’elles furent apportées, et qu’il voulut remettre au dauphin et au duc d’Orléans; mais le capitaine Peralta les lui arracha des mains, et, les montrant aux princes qui avaient grande envie de les recevoir, il leur dit qu’il les garderait pour eux. Par la plus étrange défiance, il ne permit pas que des toques venues de France fussent placées sur leurs têtes, tout comme le marquis de Berlanga empêcha Bordin de s’approcher du dauphin, qui avait beaucoup grandi, pour prendre la hauteur de sa taille et la porter à François Ier. Ces superstitieux Espagnols craignaient l’un et l’autre qu’on ne pût, à l’aide de mystérieux enchantemens, dérober à leur vue et soustraire à leur garde[1] les précieux otages dont ils répondaient. L’huissier de la régente quitta les deux prisonniers, qui devaient attendre encore dix mois leur délivrance.

Vers la fin de ces dix mois, il est vrai, grâce aux plaintes de Bordin, transmises par Louise de Savoie à Marguerite d’Autriche et portées par Marguerite à la connaissance de Charles-Quint, il y eut ordre de les traiter avec plus d’égards en les gardant toujours avec beaucoup de précaution. Les serviteurs qui avaient été éloignés d’eux leurs furent rendus, ils reçurent de plus dignes vêtemens, et le reste de leur captivité fut accompagné de moins de rigueurs. Vers l’été de 1530, tout étant prêt pour l’entière exécution du traité de Cambrai, ils furent conduits par le connétable de Castille, avec autant d’appareil que de vigilance, jusqu’à la frontière d’Espagne. Ils arrivèrent dans le mois de juin à Fontarabie, où les rejoignit la reine Éléonore, que le vicomte de Turenne était allé épouser à Tolède au nom du roi, et qui devait entrer en France le même jour qu’eux.

Le grand-maître Anne de Montmorency était depuis quelque temps à Bayonne avec tout ce qu’il était nécessaire de remettre aux délégués de l’empereur en échange des deux fils du roi. Il y avait porté, chargés sur des mulets, les 1,200,000 écus d’or de la rançon, les diverses pièces constatant l’abandon définitif de Naples, de Milan, de Gênes, d’Asti, les renonciations régulières aux hommages

  1. « Por que tienen opinion que ay gentes en Francia que si oviesen cosa que oviese tocado a sus personas por artc magica y de negromancia los sacarian salvamente... y quanto a los honetes se guardaron de aquellos poner en las cabecas de miedo que no volassen aca a mi partida. » — Relation de l’huissier Bordin.