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I.

L’idée de supprimer la distance en correspondant par des signaux est vieille comme le monde. Dès que deux hommes ayant des intérêts communs ont été séparés, ils ont dû imaginer un moyen de communiquer à travers l’espace. Je ne partage pas l’avis du major Boucherœder[1], qui voit dans la tour de Babel un point central destiné à envoyer des signaux aux hommes répandus sur la terre, mais je crois que la colonne de feu et la colonne de nuée qui précédaient les Hébreux dans le désert était un signe indicatif de la route qu’ils devaient suivre. Qui ne se souvient de la première scène de l’Orestie? Le guetteur est debout sur la tour où l’on a sculpté le demi-loup argien. Il invoque le repos; depuis six ans qu’il veille, ses paupières fatiguées interrogent en vain l’horizon; il est las de voir les astres se lever et se coucher régulièrement; tout à coup un feu apparaît : « Salut, ô flambeau de la nuit, aurore d’un beau jour, gage des splendides fêtes de la victoire! » Troie est prise, Clytemnestre en est avertie, et lorsque le chœur lui dit : « Quel messager a pu si promptement apporter cette nouvelle? » elle répond : « Vulcain! » Puis elle explique que des signaux de feu se correspondant ont été allumés successivement sur l’Ida, le promontoire d’Hermès, le mont Athos, le Maciste, sur le Messape, sur le Cithéron, l’Égiplanète et enfin sur le mont Arachné. « C’est de Là qu’on a transmis au palais des Atrides cette lumière dont le feu de l’Ida fut l’aïeul éloigné. »

César et Végèce parlent des signaux à l’aide desquels les Gaulois et les Romains correspondaient; mais cet art d’écrire de loin, si perfectionné qu’il ait pu l’être dans les temps anciens, était encore tout à fait embryonnaire. On ne pouvait en effet transmettre que la nouvelle d’événemens prévus; c’était déjà beaucoup, mais le résultat à chercher était de pouvoir entretenir une véritable conversation malgré la distance, c’est-à-dire de donner des ordres, d’apprendre des faits inattendus et d’être renseigné sur des circonstances que le hasard seul avait fait naître. Le moyen âge et la renaissance ont usé des procédés déjà connus de l’antiquité, et rien ne fait supposer qu’à ces deux époques on en ait cherché de nouveaux. Cependant Cornélius Agrippa fit quelques travaux pour retrouver le secret de Pythagore, qui, pendant son voyage en Égypte, correspondait avec ses amis à l’aide de caractères tracés sur la lune. On peut croire que ses recherches furent inutiles.

Le premier essai de télégraphie sérieuse et pouvant s’appliquer

  1. De l’Art des Signaux, Hanau, 1795.