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point à attaquer de vive force des employés si bien pourvus : pendant la nuit, en l’absence des préposés, ils crochetèrent les portes des stations, pénétrèrent dans l’intérieur, en enlevèrent simplement les lunettes, et écrivirent sur le registre aux signaux : « reçu de l’administration télégraphique deux longues-vues, dont décharge. » Les rieurs ne furent peut-être pas tous du côté du ministre.

On peut penser que l’établissement des télégraphes, de ce service exclusivement réservé à l’état, avait fortement donné à réfléchir aux hommes qui voient dans la spéculation un moyen de s’enrichir, pour qui le gain sans travail est l’idéal de la vie, et qui cherchent partout des renseignemens à l’aide desquels ils puissent jouer à coup sûr. Avant l’invention des chemins de fer, avant l’application de l’électricité à la télégraphie, le cours de la Bourse de Paris n’était connu à Bordeaux, à Rouen, à Lyon, à Marseille, qu’à l’arrivée de la malle-poste. Les agioteurs qui eussent appris le mouvement des fonds publics douze heures d’avance étaient donc en mesure de faire des bénéfices coupables, mais assurés. Or cela seul leur importait. A l’aide de moulins dont les ailes étaient disposées d’une certaine manière, à l’aide de pigeons dressés à cet effet, on essayait d’être renseigné d’une façon positive sur la hausse ou la baisse de Paris. Une ligne télégraphique secrète fonctionna même régulièrement entre Paris et Rouen. Le gouvernement déjouait ces manœuvres de son mieux, mais il n’y réussissait pas toujours. Le cas n’avait pas été prévu par la loi, et l’on s’en aperçut dans des circonstances qu’il faut rapporter.

Au mois de mai 1836, M. Bourgoing, directeur des télégraphes à Tours, fut informé que les employés Guibout et Lucas, stationnaires du télégraphe n° 4, situé sur la mairie, faisaient un usage clandestin de leurs signaux. Une enquête très prudente fut commencée, pendant laquelle Lucas, tombé malade et près de mourir, fit des aveux complets. On acquit la certitude que Guibout, aussitôt après l’arrivée de la malle-poste de Paris, introduisait un faux signal dans la première dépêche qu’il avait à transmettre sur la ligne de Bordeaux, et qu’aussitôt après il indiquait : erreur ; mais le faux signal n’en parcourait pas moins sa route forcée, il était répété de station en station, il allait à fond de ligne, c’est-à-dire jusqu’à Bordeaux, où le directeur le rectifiait, corrigeait la dépêche erronée et empêchait qu’elle parvînt plus loin avec cette indication parasite et inutile. La fraude partait donc de Tours pour aboutir à Bordeaux. Avec le point de départ et le point d’arrivée, la police judiciaire avait entre les mains de quoi découvrir la vérité; elle fut en effet découverte, et la voici. Deux jumeaux, François et Joseph Blanc, habitant Bordeaux, joueurs de bourse et spéculateurs de