Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/510

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

encore tous les jours des témoins pour se faire tuer en leur honneur, il n’entrait dans la pensée de personne qu’il y eût d’autres vérités pour lesquelles on pût mourir, d’autres certitudes qu’on ne pût renier sans infamie. Voilà pourquoi la postérité s’est montrée indulgente et douce envers Galilée. S’il eût senti comme M. Ponsard le fait parler, il n’y aurait point de termes pour stigmatiser sa faiblesse, et, loin de changer l’indignation en pitié, les devoirs de l’époux et l’amour paternel invoqués hors de propos ne feraient qu’ajouter le ridicule à la lâcheté.

Il y avait dans le sujet que M. Ponsard a tenté de transporter sur la scène des données incompatibles avec les conditions du drame. M. Ponsard s’est laissé séduire à l’idée d’une glorification de la science dans un de ses héros, il a rêvé quelque Polyeucte de la raison abattant d’une main hardie les idoles du préjugé et tombant glorieusement sous la foudre amassée par son audace. Oui, sans doute, on peut imaginer un Galilée qui, soutenant jusqu’au bûcher la vérité, eût sanctifié pour jamais la conviction scientifique. Quelle consécration donnée par une telle mort à la liberté de chercher! Quelle vénération acquise dans la suite des temps à ses successeurs! Peut-être cette résistance eût-elle intimidé dès l’abord les persécuteurs et pénétré d’une énergie plus inflexible les explorateurs de la nature; peut-être, si Galilée avait su mourir, n’eût-on pas vu, trois ou quatre ans après une mort si triomphante, un autre homme de génie, qui s’appelait Descartes, annoncer au monde des découvertes qu’il tenait prudemment sous le boisseau. La science a peu de martyrs, et nous voulons bien que le sang ne soit pas une garantie nécessaire à des vérités qui demandent des démonstrations plutôt que des dévouemens et qui ont plus besoin de preuves que de sacrifices. Il se peut que le martyre suppose un feu de prosélytisme que le savant ne connaît point, car il ne gagne pas les cœurs par la contagion de l’enthousiasme, "il conquiert les esprits un à un par la conviction. Qui sait d’ailleurs si le plus désintéressé des martyrs n’a pas besoin d’une croyance qui lui promette quelque chose en échange de la vie, s’il ne lui faut pas, pour courir à la mort, le ressort d’un égoïsme supérieur? Les vérités de la science, abstraites et impersonnelles, fruit du labeur patient et non pas inspiration de la grâce, n’ont rien à promettre. Elles ne sont pas cependant incapables d’enflammer l’intelligence, et c’eût été un grand spectacle que celui d’un des plus rares génies qu’on puisse admirer couronnant ses découvertes par un acte héroïque et inscrivant à l’entrée d’un nouvel âge de l’humanité le nom d’un martyr de la pensée.

Malheureusement ce Galilée n’est point celui de l’histoire. Eût-il existé que M. Ponsard eût encore bien fait de ne pas aborder un tel nom. La destinée glorieuse ou tragique des hommes de génie, l’histoire si souvent poignante des grands poètes, des grands artistes, des grands savans, est un écueil dangereux pour le talent dramatique. Le génie n’est point théâtral, il se manifeste avec éclat dans ses œuvres, il reste secret et caché dans la