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mestique ; l’autre a pour époux un homme à principes, intraitable sur les apparences, grand pourfendeur d’amans, et qui, je ne sais par suite de quelle aventure racontée par la dame en style énigmatique, la tient fièrement à distance. On pourrait donc les prendre à la rigueur pour des femmes du monde, si à chaque instant leur ton, leurs manières, leurs maximes ne nous déconcertaient et ne nous faisaient croire que nous sommes, non pas dans un salon, mais dans le boudoir de quelque maritorne déclassée. Pour un homme qui fait, comme M. Barrière, profession de porter la vérité jusqu’au scrupule, il y aurait là, qu’il nous pardonne de le lui dire, une faute d’écolier, si nous ne lui reconnaissions une excuse. Cette excuse est dans l’étrange confusion de costume et d’habitudes qui s’est produite chez nous par l’effet d’une secousse qui, en bouleversant toutes les notions, semblait avoir atteint le goût lui-même et aboli jusqu’au sentiment des nuances et des distinctions ; confusion réellement inouïe, car si l’on avait vu des courtisanes parvenues revêtir du jour au lendemain les manières du beau monde, on n’avait pas vu les grandes dames et jusqu’aux simples bourgeoises prendre à cœur de copier les dehors de la pire compagnie. Si l’imitation est allée au-delà des manières, c’est ce que nous voulons ignorer. Dans tous les cas, cette confusion n’est pas un fait qui s’explique par l’influence maligne de quelques mauvais exemples ; une telle épidémie a certainement des causes plus générales, qui ne sont pas bien malaisées à découvrir : une grande victoire remportée sur tout ce qui est digne d’occuper les esprits et célébrée par les saturnales des oisifs, les mœurs aventurières élevées à la hauteur d’une institution, la spéculation proclamée une des fins de l’homme, le désœuvrement érigé en vertu, la mise en interdit de l’honneur, l’ajournement de la morale, tout ce que le sommeil prolongé de la vie publique produit d’effets déplorables sur l’esprit d’un peuple. On ne peut dire combien de temps il aurait fallu pour que cette comédie fatiguât notre curiosité et poussât à bout notre patience, si le cri des choses, plus éloquent que toutes les satires, n’eût violemment appelé l’attention sur des indices inquiétans, et ne nous eût distraits de nos plaisirs en nous ramenant de force aux préoccupations sérieuses. Le changement ne fait que commencer : les voitures à grelots qui volent au champ de courses, les claquemens de fouet des postillons, les refrains enroués des alcazars publics et privés continuent à résonner encore ; mais le carnaval expire, et voilà que les applaudissemens lui font défaut. M. Barrière s’est cru autorisé, par le mélange désordonné qu’on a vu régner quelque temps, à présenter dans sa comédie des figures hybrides, mi-parties femmes du monde et filles perdues, et déjà ce mélange choque et révolte ; il a cherché la cause d’une épidémie dont l’origine n’est ignorée de personne dans quelques accidens individuels, et ces exemples choisis d’une dépravation intolérable ont provoqué de toutes parts des expressions de dégoût et d’ennui. M. Barrière est décidément en retard sur l’esprit du jour.