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à étudier avec sincérité la place qu’elle occupe dans les nécessités des sociétés modernes et se décider à vivre avec elle comme on vit avec tous les organes indispensables de la civilisation avancée, avec les chemins de fer, avec le télégraphe électrique, avec les vaisseaux cuirassés, avec les fusils à aiguille. La presse, sous quelque forme que l’industrie humaine et les intérêts intellectuels et politiques la présentent, n’est qu’un instrument de la vie sociale contemporaine. C’est un des moyens les plus puissans de rapprochement entre les intelligences, c’est une force sans égale d’éducation naturelle pour les masses, c’est tour à tour une source d’informations fortifiantes et élevées pour les esprits éclairés, un système de rapide communication utile aux intérêts économiques, une force de cohésion pour les élémens si divers d’activité qui existent dans notre monde moderne. Aucune des forces dont l’humanité s’empare ou qu’elle crée, pas plus la presse que les autres, ne saurait être regardée d’avance et en soi comme un mal par des intelligences droites et sincères. Presque tout ce qui augmente la puissance de l’homme augmente aussi ses dangers, sa responsabilité, et lui impose une vigilance plus étroite; mais il est insensé d’aborder, dans l’ordre politique et moral comme dans l’ordre physique et économique, avec une défiance haineuse ces surcroîts de puissance qui sont accompagnés de surcroîts de devoirs et de labeurs. Or telle est la faute évidente que commet le projet de loi sur la presse qui vient d’être présenté au corps législatif. Le pouvoir exécutif abandonne le régime discrétionnaire; mais on dirait qu’il prend des précautions de guerre contre la presse. Le projet de loi fait mal rien qu’à le regarder. On dirait que pour le législateur il s’agit de quelque industrie équivoque et dangereuse qu’il faut soumettre à des conditions fiscales, à des juridictions, à des procédures, à des pénalités exceptionnelles. Pourquoi le fisc intervient-il dans cette industrie et lui impose-t-il des charges qui retombent en définitive sur la masse du public, et qui ne peuvent point rapporter au trésor une ressource digne de considération? Pourquoi la presse politique demeure-t-elle soumise au timbre lorsque la presse non politique en est exemptée? La société et les mœurs sont-elles moins menacées par des feuilles nourrissant le public de littérature frelatée et de frivolités que par des journaux que l’importance de la discussion politique rappelle sans cesse au sérieux de leur rôle? L’intérêt fiscal de l’état est nul dans la question; le timbre n’est donc maintenu que comme une restriction préventive qui tend à limiter, — aux dépens de la polémique élevée, des œuvres distinguées, du niveau intellectuel et moral de la nation lisante, — le nombre des journaux politiques. — Pourquoi exclure de la gérance des journaux les sénateurs et les députés, auxquels aucune autre profession honorable n’est nominativement interdite? S’il paraît y avoir incompatibilité entre la profession et la fonction, ne pouvait-on pas s’en fier aux mœurs et au sentiment des convenances pour la laisser s’établir naturellement sans marquer une distinction blessante pour la