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est calme et froide; mais, si une circonstance quelconque fait vibrer les cordes de cette âme ardente et forte, il sort de ses yeux gris ternis par l’âge des éclats de lumière qui font pâlir deux énormes boutons de diamant qu’elle porte toujours à ses oreilles. Ce sont les seuls bijoux qu’elle ait voulu accepter de M. Romignère. » Cette Bauréal déguisée en bourgeoise a de l’affabilité dans la hauteur, de la bonne grâce dans le sentiment de son sacrifice volontaire. Toujours royaliste au fond du cœur, en vraie fille des preux, elle subit par instans les séductions de la gloire impériale; ce n’est que par ce côté militaire qu’elle admet l’empire. Cette singulière personne, qui tire quelque peu vanité d’avoir traversé la terreur sans rien changer à ses habitudes, a un beau mot digne d’être opposé à celui de Sieyès. Quand on lui demande comment elle a pu éviter la prison, elle répond simplement : « Je n’ai pas eu peur! » C’est mieux que le j’ai vécu du conventionnel.

Un autre passage curieux du livre est celui où quelque deux ans après la restauration, Romuald, général de Napoléon, raconte sa présentation à la nouvelle cour, où il est conduit par son oncle le duc de Bauréal. Je disais après Mme Lenormant que le cordon bleu refusé au marquis d’Osmond avait laissé des traces dans l’esprit de Mme de Boigne ; on s’en douterait bien en lisant les pages où par la plume de son héros elle peint le roi et les princes d’un trait exact peut-être, mais certainement peu enthousiaste. « J’ai été présenté aux princes, dit Romuald; mon oncle avait obtenu une audience du roi ; il m’a reçu avec un visage impassible qui m’a d’abord imposé. Ses traits ont de la dignité; je n’aime pas sa physionomie, elle est dure quand il est sérieux et fausse quand il sourit. » De là il va chez Monsieur, qui ne trouve rien de mieux à dire que de lui demander, à lui, général de l’empire, s’il est allé jamais en Allemagne. On arrive chez la duchesse d’Angoulême. Ici du moins il y a les souvenirs douloureux et l’auréole du malheur. «J’étais fort ému en l’approchant, dit Romuald. Mon oncle m’ayant nommé, j’obtins un coup de tête très sec et un « vous êtes à Paris depuis peu? « qui semblait porter l’accent du mécontentement et presque du reproche... » Sans trop approfondir ce mot, qui porte un accent, il ne fait pas bon refuser les cordons bleus à une femme d’esprit. C’est là, somme toute, ce qu’il y a de plus piquant dans ce roman que l’auteur appelle une histoire de salon, je ne sais trop pourquoi, car l’action est dispersée un peu partout, à Londres, à Lisbonne, à Rio de Janeiro, en Allemagne, en Suisse, à Naples, à Odessa. Cette passion du grand monde court volontiers les grandes routes, et si je le remarque, c’est que là justement est l’écueil du roman, et la confusion de l’idée explique la confusion, le relâchement de la forme.

La forme en effet, c’est là ce qui manque le plus dans ce livre d’une Passion dans le grand monde. On a vu au XVIIIe siècle de très grandes dames ayant beaucoup d’esprit et qui auraient été fort empêchées si elles