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école l’abaissement progressif des tendances et des œuvres, l’incertitude des doctrines et l’impuissance, même chez les mieux intentionnés, de suppléer au néant de l’éducation première ou de corriger les vices d’un enseignement défectueux.

Les enseignemens d’Ingres, à l’époque où il les formulait (1827-1834), n’étaient pas seulement sains et hautement profitables en eux-mêmes. À ce mérite intrinsèque se joignait celui qu’ils empruntaient des circonstances, et l’on n’en apprécierait qu’incomplètement les bienfaits, si l’on ne tenait compte des luttes engagées alors, des partis contraires qui se disputaient le champ de l’art français : d’un côté, ce qui subsistait des traditions académiques, représentées dans la pratique par la seconde génération des disciples de David et dans la théorie par Gros, uniquement préoccupé à cette époque au désir d’expier, par ce qu’il appelait « la pureté de l’enseignement classique, » l’indépendance de ses premiers actes et les anciennes hardiesses de son génie ; de l’autre côté, les chevaliers errans ou les volontaires de la nouvelle école, les esprits débarrassés des préjugés, flottant entre toutes les croyances, impatiens de la tyrannie jusqu’au mépris de toute règle. Quoi de plus opportun dès lors qu’une doctrine qui, en désabusant les jeunes artistes de la routine, les préserverait en même temps des entraînemens opposés, des aventures ? Quel meilleur moyen, pour rétablir la concorde et ramener l’école à une foi commune sans lui interdire l’espoir des conquêtes partielles et des progrès, que de montrer ce qu’il peut y avoir d’idéal dans le réel et de vrai dans l’art le plus raffiné, que de prescrire à la fois le respect des grands exemples fournis par la peinture ou par la statuaire et l’étude directe, sincère, continuelle de la forme vivante ? Nous avons eu l’occasion de le dire déjà, les monumens de l’antiquité et de la renaissance, envisagés en face, sans les détours de l’esprit systématique, — la nature expliquée par ces commentaires admirables, mais avant tout franchement et ingénument sentie, le dédain des recettes et le culte des hautes traditions, la haine des réalités vulgaires et la passion des vérités caractéristiques, — tels étaient les principes sur lesquels Ingres avait fondé son enseignement. Pourquoi essaierions-nous au surplus de résumer cette doctrine et d’en exposer les principes à nos propres risques ? Quelques-unes des paroles même du maître pieusement recueillies au moment où elles venaient d’être prononcées, quelques-uns de ses préceptes sténographiés pour ainsi dire par ceux à qui il les adressait[1], en apprendront plus à cet

  1. Nous avons sous les yeux deux cahiers de notes sur lesquels le frère aîné d’Hippolyte Flandrin, Auguste Flandrin, mort en 1842, et un autre élève d’Ingres, M. Éd. Odier, inscrivaient chaque jour, au sortir de l’atelier, le souvenir de ce qu’ils avaient entendu. Les paroles que nous citons sont textuellement extraites de ces notes.