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qui l’a si fort élevée au-dessus de la brute. Elle a eu d’abord pour instituteur exclusif la nature, dont elle copia les procédés pour satisfaire ses besoins. Douée à un haut degré de la faculté d’imitation, déjà si prononcée chez le singe, dotée de la mémoire, qui demeure limitée et imparfaite chez les animaux même les plus intelligens, possédant le langage articulé, à l’aide duquel elle communique ses idées, les développe et les coordonne, elle s’est chaque jour séparée davantage des autres créatures, sur lesquelles elle l’emportait dès l’origine ; mais ce perfectionnement semble avoir été plus marqué chez certaines races, peut-être chez les dernières qui soient sorties de la main du Tout-Puissant. D’autres se sont arrêtées plus bas ; elles n’ont pas pu sortir d’une constitution sociale rudimentaire, et leur organisation les a condamnées à une infériorité qui est devenue pour elles une cause de destruction, fait analogue à celui qui nous montre les animaux domestiques se propageant sur tout le globe, et les bêtes féroces disparaissant peu à peu. Comment les diverses races d’hommes que rattache une puissante unité de type, les nombreux genres d’animaux qui se distinguent par des caractères bien plus tranchés, se sont-ils formés. Les uns ont supposé des créations successives, d’autres des transformations lentes ; les uns ont admis avec l’Écriture sainte un couple primordial, les autres des souches différentes. Je ne saurais aborder ici ce redoutable problème, sur lequel l’hypothèse de Darwin a de nouveau appelé les méditations. Qu’il me suffise de dire en finissant que, si l’homme est la dernière œuvre de Dieu comme elle en est la plus parfaite, son origine n’est pourtant pas aussi récente que le silence des témoignages pourrait le faire supposer. Son enfance s’est prolongée pendant une période d’une prodigieuse étendue et qui n’est point encore achevée sur quelques points du globe. Son apparition est antérieure à l’âge historique ; il a assisté aux révolutions climatologiques et géologiques qui ont précédé l’état actuel des continens. C’est donc à une époque où la terre présentait des conditions différentes de celles qui s’observent aujourd’hui que remonte la naissance de l’homme, et le mystère de cette naissance tient précisément à l’ignorance où nous nous trouvons des effets qui se produisaient alors au sein de la nature et des élémens où puisait la vie.


ALFRED MAURY.