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les champignons, les ingénieux calculs d’où il résulte qu’un tissu peut, en une minute, augmenter de soixante millions de cellules et conséquemment de trois à quatre milliards par heure. D’autre part, les spores ou semences sont innombrables chez la plupart des cryptogames, et d’une si prodigieuse ténuité qu’elles forment comme une impalpable poussière ; elles sont renfermées par milliers dans des utricules si menues qu’il en faudrait des centaines pour égaler en grosseur une petite tête d’épingle.

Des navigateurs, il y a quelques années, ont traversé une étendue d’eau d’une surface de plusieurs milliers de kilomètres carrés qui, jusqu’à une profondeur assez considérable, était entièrement colorée en rouge écarlate. Recherches faites, il a été reconnu que cette coloration extraordinaire provenait de la présence d’une algue marine microscopique, mais d’une telle petitesse qu’il aurait fallu quarante mille de ces plantes juxtaposées pour couvrir la surface d’un seul millimètre carré. Que l’on imagine d’après cela l’inconcevable rapidité avec laquelle devait se multiplier cette algue colorante pour modifier sur une aussi vaste étendue la teinte habituelle des eaux de la mer[1].

C’est donc grâce à cette prodigieuse puissance de reproduction qu’une base primitive a été donnée, qu’un terrain a été créé aux végétaux supérieurs par ces minimes cryptogames dont l’importance est d’autant plus extraordinaire, qu’elle paraît être hors de toute proportion avec les élémens qui la constituent. Ils sont en effet fort redoutables, ces petits fondateurs d’assises végétales. Emportés par l’irrésistible courant qui les fait créateurs, ils arrivent bien vite à dévorer ceux-là mêmes auxquels ils ont rendu l’existence possible. Les plus grands arbres des forêts ont, à mesure qu’ils vieillissent, envahis de toutes parts par ces lichens, ces champignons et ces mousses dont les débris ont nourri leurs racines. Ils finissent toujours par succomber à ces atteintes multipliées ; quelques années suffisent pour faire tomber en poussière leurs troncs désorganisés, et c’est un spectacle saisissant devoir ces cadavres gigantesques rejetés au tourbillon de la vie universelle par ces infimes, mais infatigables transformateurs. Tout le monde, connaît le merulius destruens, qui, sous le nom de champignon de cave s’étend en minces membranes à la surface des poutres humides, qu’il désagrège et finit par effriter complètement. Il est un autre champignon tout aussi redoutable qui, vers la fin du siècle dernier, détruisit entièrement, malgré tous les efforts, un de nos plus beaux bâtimens de guerre, le Foudroyant, à peine sorti des chantiers. Même sort ar-

  1. On sait que la Mer-Rouge doit son nom à la présence d’innombrables petites algues (trichoclesmie d’Ehrenberg), qui, particulièrement accumulées parfois dans certains golfes, donnent aux eaux la coloration du sang.