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avait grandi avec la réputation, comme toujours. Le professeur Marchal soignait les meilleures familles de la ville et des environs ; il était médecin en titre de l’usine de M. Axtmann à Hagelstadt ; on ne faisait pas en Alsace’une belle consultation sans lui. Comme il avait de l’ordre et de l’économie, il acheta bientôt une maison sur le quai des Bateliers, et je vous laisse à penser s’il fut content la première fois qu’il se paya son terme à lui-même. Il commanda un mobilier neuf, et dès lors tout le monde comprit que ce jeune homme songeait au mariage.

Le sentiment général fut qu’il avait le droit de choisir, et que pas une mère ne serait assez malavisée pour lui refuser sa fille. Outre la position, qui était enviable, il jouissait d’une bonne renommée. Sa conduite avait toujours été, sinon exemplaire, au moins décente et mesurée. Il s’était diverti comme tous les jeunes gens, mais il ne s’était jamais débauché. Quelques fredaines sans scandale n’entament pas la réputation d’un jeune homme et ne le font pas mettre au ban des familles. Toutes les curieuses de la ville, et nous n’en manquons pas à Strasbourg, se mirent en campagne pour savoir à quelle héritière le professeur allait offrir sa main et son nom.

Elle ne fut pas longue à trouver : c’était la fille unique de M. Kolb, professeur au séminaire protestant et chanoine de Saint-Thomas. Adda Kolb avait alors dix-sept ans et quelques mois. Figurez-vous une blonde agréable, bien faite, bien portante, assez instruite, et d’un caractère très-enjoué. Ceux qui trouvent la grâce plus belle que la beauté l’auraient jugée parfaite ; mais le détail de sa personne laissait à dire, et son intelligence ne dépassait pas la moyenne du bon sens, de la droiture, et rien de plus.

A tort ou à raison, le monde s’imagina que Marchai était plus amoureux du cadre que du tableau. Le fait est que la famille Kolb attirait les braves gens par une affinité irrésistible. Le chanoine et sa femme, mariés à vingt ans, semblaient presque aussi jeunes que leur fille. Une sœur de Mme Kolb, qui avait épousée le substitut Miller, habitait la maison canoniale avec son mari et ses quatre enfants. Le vieux papa Kolb et sa femme, fervente piétiste, occupaient le deuxième étage ; leur fils aîné, Kolb Jacob, tanneur très-considéré, avait son établissement dans le voisinage : il était marié, lui aussi, et père d’une belle et nombreuse postérité. On se voyait pour ainsi dire à toute heure, et la tribu vivait dans une étroite intimité comme les enfants de Noé dans l’arche. Un étranger introduit par hasard chez M. le chanoine aurait été frappé de la physionomie collective que présentait cette famille. La maison entière respirait la propreté, la régularité, la dignité, la cordialité. Les sentiments, les idées, les habitudes de ces personnages composaient