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rappeler tant de pages éclatantes. L’étude de M. Gandar se rattache d’une manière étroite au mouvement inauguré par l’illustre maître. C’est la même passion du vrai, le même soin et la même ardeur dans les recherches.

Depuis le bénédictin Déforis, qui donna la première édition des Sermons, jusqu’aux, écrivains de nos jours, qui ont essayé plus ou moins heureusement de rectifier ces textes défigurés, nul incident de cette histoire n’a échappé à son enquête. La part de chacun des hommes qui ont eu mission ou se sont arrogé le droit de toucher à Bossuet est faite avec une précision impartiale. Rien de plus curieux que le rôle de dom Déforis, de dom Coniac, du libraire Boudet, de l’abbé Maury, en cette manipulation étrange. On entre avec M. Gandar dans les officines de l’ancienne critique et on apprend à mieux estimer son siècle ; puis, ce travail terminé, les sermons du jeune orateur une fois rendus à leur forme première, que de découvertes inattendues ! Nous assistons à l’éducation intime de Bossuet. Il prend son élan, il s’égare, il revient sur ses pas, et le voici cette fois dans le droit chemin, plus ardent encore et plus impétueux, car il est plus, sûr de lui-même. Ce que je résume ainsi en deux lignes, M. Gandar l’a mis sous nos yeux par une multitude d’exemples, en suivant de ville en ville, de bataille en bataille, cette marche conquérante du génie. L’image est vivante ; la biographie et l’histoire, associées à la critique littéraire, la préservent des vagues généralités. C’est bien un homme que nous voyons grandir dans le feu continu de l’inspiration, continuus animi motus. L’imagination l’emporte ; il la règle sans l’éteindre, il la dompte sans l’affaiblir, et obtient d’elle de merveilleux effets. Je recommandé surtout dans le tableau de M. Gandar les sept années que Bossuet a passées à Metz, c’est toute une révélation. On ne peut s’empêcher de penser ici aux paroles de Cicéron : est finitimus oratori poeta. L’orateur de la cathédrale de Metz est véritablement le grand poète chrétien de l’ancienne France. Que de rapports avec Dante, avec Milton, avec sainte Thérèse ! M. Gandar profite de toutes les ressources de la littérature comparée pour mettre en son vrai jour la féconde adolescence du poète orateur, et quand Bossuet en 1662 prêche le carême au Louvre, nous savons désormais ce que la perfection de son art lui a, coûté d’études, de méditations, de tentatives de toute sorte. C’est le fond même de cette âme active et enthousiaste, c’est la source toujours bouillonnante de cette imagination antique et biblique à la fois que M. Gandar a étudiée avec amour. Qu’il approuve ou qu’il blâme les pensées du sermonnaire (et pour un homme du XIXe siècle que de choses à répudier chez Bossuet !), il ne cesse jamais de rendre hommage à la sincérité, que dis-je ? à l’ingénuité sublime des sentimens qui l’inspirent. Ce livre restera ; par la nouveauté des recherches, comme par la loyauté des appréciations, il fait le plus rare honneur à la critique de nos jours.

On a beau dire, il y a des sujets éternels, et nos grands siècles littéraires sont de ce nombre. Quoi donc ! parce que des commentateurs insipides ont répété à l’envi des lieux-communs sur les génies charmans ou superbes que