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revenue si vite, je ne dis pas seulement aux croyances chrétiennes, mais aux formes traditionnelles consacrées par les siècles.

Les lettres dont nous parlons sont signées simplement Laurette. Il a fallu bien des recherches à Mme la marquise de Lagrange pour retrouver le nom, la famille, la généalogie de l’aimable fille, et par conséquent aussi pour ajouter une dernière page, une page indispensable, à cette correspondance si brusquement interrompue par la mort. En deux mots, voici le résultat de cette enquête : Laurette était fille de M. Randon de Malboissière, un des riches financiers du xvin0 siècle qui tenait par ses alliances à la plus haute noblesse et par ses goûts hospitaliers à la plus brillante société littéraire. L’amie à laquelle sont adressées les lettres de Laurette est Mlle Adèle Méliand, devenue plus tard la marquise de Lagrange. La première lettre est datée du mois d’avril 1761, la dernière du 30 juillet 1766. Celle qui les écrivait d’une plume si fine et si enjouée était née le 21 décembre 1745 ; elle avait donc quinze ans et quatre mois au moment où s’ouvre la correspondance, et quand elle en traçait la dernière page de sa main défaillante, elle n’avait pas plus de vingt ans et demi. Cinq années du XVIIIe siècle, et cinq années de sa période la plus agitée, voilà le cadre où va se dessiner ingénument la physionomie de Laurette de Malboissière. Nous sommes en plein règne de Voltaire, en pleine explosion de Jean-Jacques Rousseau, en pleine mêlée de l’Encyclopédie ; quelle impression fera ce tumultueux mouvement sur un esprit jeune, ouvert, avide de science, et entièrement livré à ses propres instincts ? Tel est le principal intérêt de cette correspondance où Laurette, en traçant elle-même son image, nous fait entrevoir toute une partie de la société de son temps.

Le premier trait qui me frappe, c’est l’inaltérable sérénité de Mlle de Malboissière. La fièvre publique n’a point de prise sur elle ; rien ne la trouble, rien ne l’étonné. Initiée à bien des événemens et à bien des ouvrages où se manifestait l’esprit nouveau, elle en par le avec une aisance singulière. On ne sent dans son langage aucune émotion, elle n’a besoin ni de blâmer ni d’applaudir, et pourtant il est impossible de la taxer d’indifférence. Le défenseur de Calas a toutes ses sympathies, bien qu’elle l’apprécie surtout au point de vue des qualités inférieures et qu’elle remarque volontiers ce qu’il y a de « joli » dans Voltaire. Il est évident que toutes les scènes du drame public : suppression des jésuites, victoires de l’esprit nouveau, livres ardens, manifestes de la philosophie, se confondent à ses yeux dans la multiplicité des choses qui excitent simultanément son désir de connaître. Elle veut tout savoir, le grec et les mathématiques, les langues étrangères et l’histoire naturelle. Avec cela, nulle trace de pédantisme. C’est une savante et une enfant. Elle est folle de théâtre ; les pièces nouvelles, les reprises, les acteurs, les actrices, voilà ce qui remplit ses lettres, avec mille détails de vie mondaine et des puérilités charmantes. Elle fait elle-même des comédies, des tragédies, elle a une troupe de comédiens de salon qu’elle endoctrine de son mieux, et n’allez pas croire