Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/769

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pieusement les paroles, les incidens, les témoignages épars d’où il peut résulter que le glorieux ami de Schiller a cru à un dieu libre et à l’âme immortelle ? Non certes ; cette sollicitude nouvelle d’un grand nombre d’esprits qui disputent Goethe au panthéisme n’est pas seulement un symptôme très digne d’intérêt, elle est encore à mon avis l’indication de la méthode qu’il faut suivre, si l’on veut résoudre avec précision ces problèmes compliqués. En d’autres termes, il y a ici deux personnages fort différens, je veux dire l’homme et le penseur. Que de fois, dans les conversations, dans les correspondances de Goethe, l’homme n’a-t-il pas donné des démentis au philosophe ! Ce sont ces démentis auxquels s’attachent les lecteurs bienveillans qui répugnent à voir le plus grand génie de l’Allemagne enseigner une doctrine funeste. Piété touchante, heureux symptôme ; mais la vérité n’a-t-elle pas ses droits ? Si l’on ne juge dans Goethe que le philosophe, il faut conclure comme M. Caro : « Goethe, dit-il, représente assez bien les aspirations mêlées et l’éclectisme confus d’un temps comme le nôtre, où l’on prétend concilier une morale active, la doctrine même du progrès, avec un panthéisme qui la rend impossible en droit sinon en fait, et qui logiquement la détruit. » Associée à l’admiration la plus intelligente pour le génie du savant et du poète, cette conclusion ne pouvait que rencontrer des sympathies en Allemagne, au moment où le pays de Hegel se débarrasse peu à peu de ce panthéisme dont les derniers adeptes semblent réfugiés chez nous. Ce n’est pas seulement la transformation politique des peuples allemands qui a désabusé les esprits de ces doctrines énervantes ; bien avant que la victoire de la Prusse eût réveillé l’Allemagne, une école modeste, mais persévérante, l’école des Hermann Fichte, des Fortlage, des Ulrici, avait contribué sans bruit à relever les doctrines spiritualistes, seul fondement légitime de l’activité libérale et féconde. C’est cette école qui traduisait dernièrement les vigoureuses pages où M. Paul Janet a réfuté le matérialisme contemporain, c’est elle qui accueille aujourd’hui avec faveur les remarquables études de M. Caro sur le panthéisme de Goethe.

Il nous en coûte de terminer cette revue sans y faire figurer des œuvres d’imagination qui nous eussent ramenés plus directement aux intérêts de nos jours. C’est le XIXe siècle en définitive qui est le plus constant objet de nos travaux, c’est à lui que nous pensons en interrogeant les sociétés dont nous avons recueilli l’héritage. On nous avait signalé tel roman d’hier qui méritait d’être discuté, disait-on, au moins à titre de symptôme et de tentative nouvelle. Hélas ! que de fois des annonces de ce genre n’ont été pour nous qu’une cause de désappointement ! Sans être dédaigneuse et hautaine, ce qui ne convient à personne, la critique a sa dignité à défendre. Est-ce à elle d’enregistrer toutes les œuvres qui paraissent ? Non, certes, elle n’est pas le greffe qui inscrit les causes, elle est le tribunal qui les juge, et le silence en bien des cas est un jugement assez clair. Qu’on ne nous accuse donc pas de repousser volontairement les œuvres où l’imagination s’essaie à la peinture du monde. Le jour où des talens nouveaux se lèveront, soit