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elle ne poursuit pas la vaine gloire d’affronter et de confondre les jugemens humains ; elle s’applique à faire éclore partout la vérité, dont le sentiment persiste toujours sous l’erreur, à fomenter le repentir qui est toujours près de la faute et qui appelle nécessairement le pardon, non comme une largesse gratuite, mais comme une dette à laquelle il n’est point permis de se dérober. La douceur, l’indulgence est la loi qu’elle impose à tous, le remède souverain qu’elle apporte : comment attaquerait-elle l’injustice du monde par le défi et l’ironie ?

On trouverait plutôt dans Mme Aubray, malgré sa froideur apparente, les qualités d’un apôtre. Elle a l’ardeur du prosélytisme ; mais un apôtre ne discute pas avec l’opinion, il la terrasse, s’il peut, comme un ennemi, il la brave du moins, proclamant à haute voix la vérité simple dont la vue l’enflamme et ne peut manquer de conquérir tous les cœurs. Il n’a pas besoin de considération, car il n’a point d’intérêt terrestre, et la folie dont on l’accuse est sa puissance et son prestige. Mme Aubray au contraire discute, raisonne, elle a un système,, elle est entourée du respect public, qui rejaillit sur sa famille et prête crédit à sa parole ; le monde l’aime comme le monde sait aimer, — en la raillant, — et elle aime le monde. Assez indiscrète d’ailleurs, et c’est encore là une qualité apostolique, Mme Aubray intervient volontiers dans la vie des autres ; elle sauve les gens d’autorité ; elle somme M. Barentin de reprendre la femme qui l’a abandonné, et il faut tout le bon sens de M. Barentin, heureusement soutenu par une répugnance invincible, pour échapper à cet excès de vertu. Tout à l’heure vous verrez Mme Aubray demander sans sourciller à un homme qu’elle connaît à peine de bien autres sacrifices. Un apôtre peut agir ou parler ainsi, mais il n’a garde de faire valoir les droits contestés de la raison, il invoque une autorité d’un tout autre ordre et qu’on ne récuse point, celle d’une loi divine dont il est l’humble organe. Il y a toujours dans l’apostolat quelque chose de religieux et d’inspiré, et voilà pourquoi il répugne si profondément à une époque comme la nôtre, où toute conscience a sa lumière et où nulle ne peut aspirer à prononcer pour les autres. M. Dumas l’a bien compris : il ne pouvait faire de Mme Aubray une illuminée, il ne pouvait pas non plus en faire une dévote, ce qui l’eût réduite au rôle de prête-nom ridicule de quelque directeur invisible ; il s’est contenté de lui faire dire qu’elle est « chrétienne, » profession de foi convenable en même temps qu’inutile, car ce christianisme se perd dans une religiosité indécise où il n’y aura jamais l’étoffe d’un apostolat. Qu’est-ce donc encore une fois que Mme Aubray ? C’est une bonne femme et une femme vertueuse, mais avant tout c’est une femme. Elle se nourrit d’idées empruntées et vagues, moitié poésie, moitié religion, et l’on voit assez, à la manière dont elle les interprète, qu’il y manque l’indispensable complément de la réflexion personnelle. Ces idées, où l’utopie philosophique se mêle aux souvenirs du catéchisme et aux chastes rêves d’un cœur trop tôt sevré d’amour,