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à l’heure par le ressort, inaltéré d’une nature généreuse et noble ? Quand Mme Aubray entreprend de l’arracher à cette situation, elle n’a donc point une âme à racheter, une conversion morale à faire ; sa tâche ne peut être que d’ouvrir des yeux encore fermés et d’inspirer à sa protégée une ambition nouvelle, celle d’aspirer au respect des honnêtes gens et d’entrer dans une autre vie dont elle lui fait entrevoir les perspectives. A quelles conditions pourra-t-elle atteindre à l’honneur de cette existence inespérée ? Elle va renoncer aux bienfaits du séducteur, purger la honte de sa jeunesse par l’épreuve de la pauvreté volontaire, du travail et de la solitude ; elle va forcer notre admiration par son courage, comme elle a déjà conquis notre intérêt et notre pitié par son infortune. Obtiendra-t-elle ainsi dans la société la place qu’on ambitionne pour elle ? Qu’après cette confession, qui clôt à jamais le passé, Mme Aubray lui tende la main, lui ouvre son cœur et sa maison, nous sommes avec elle. Si dans cet accueil public, qui n’est peut-être permis qu’à une vertu aussi notoire que la sienne, il-y a quelque courage, nous y voyons encore plus de justice, et lorsque le séducteur de Jeannine, qui se trouve être l’ami de Mme Aubray, vient sans raison lui dénoncer sa maîtresse, ce personnage, le rôle vraiment malheureux de la pièce, dont la conduite est partout celle d’un homme à jeter par les fenêtres, nous indigne, et nous savons bon gré à Mme Aubray de lui montrer la porte. Pour être révolté de tant de lâcheté, pour défendre contre lui celle qu’il a perdue et la couvrir de sa protection, il n’est pas besoin d’un enthousiasme d’apôtre, il suffit d’une âme délicate et fière. Y a-t-il moyen d’aller beaucoup plus loin sans se heurter à des impossibilités qui vont faire bientôt reculer Mme Aubray elle-même ?

La logique des disciples est l’impitoyable arrêt des utopistes. Le fils de Mme Aubray, Camille, a toutes les idées de sa mère. De plus il a gardé jusqu’à vingt-quatre ans son cœur tout entier, et le voilà dans Page où l’âme, embrasée de tous les feux de la vie, a soif d’amour et de dévouement. Épris d’une seule femme, il n’en aime que davantage toutes les autres ; plus encore que les femmes, il aime l’amour, et dans l’amour ses épines et ses larmes, aussi bien que ses plaisirs ; il lui faut des périls à braver, des difficultés à vaincre pour donner de l’exercice à des forces surabondantes ; la fièvre des sens et de la jeunesse, le besoin confus de se déployer et d’agir, la recherche de l’inconnu, la pitiés c’est de quoi se compose la ferveur de son apostolat. Dans cette effervescence, il rencontre Valmoreau, un jeune fou d’une tout autre espèce, toujours en quête de l’amour libertin et facile, et qui a suivi Jeannine jusqu’aux bains de mer. Avec quelle promptitude Camille lui communique un peu de l’ardeur qui le dévore ! De quel ton il lui peint les voluptés du dévouement, la grandeur et les joies sacrées de ce qui est à ses yeux la tâche de tous les hommes, relever et défendre la femme ! Valmoreau est bientôt à moitié converti. Si M. Dumas avait voulu faire toucher du doigt le péril d’une éducation mal équilibrée, il n’aurait pu choisir de meilleur exemple que Camille. Dans la société actuelle, comme