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on convient que jamais il n’a montré tant de talent. Ses élèves l’applaudissent à tout rompre ; hier, ils l’ont attendu devant la Faculté pour lui faire une ovation ; mais bonsoir ! il s’était enfui par derrière et roulait déjà sur le chemin de Hagelstadt.

Sa future famille a promis de venir le voir à Strasbourg : il faut qu’avant le mariage Mme Axtmann aille avec Claire annoncer la grande nouvelle aux intimes. Du même coup on fera quelques emplettes complémentaires pour le trousseau, car un trousseau n’est jamais complet, et l’on achèterait jusqu’à la fin du monde, si l’on voulait écouter la maman. À cette occasion, l’ambitieux docteur a obtenu par ses intrigues que tous les Axtmann de la terre viendraient prendre un repas chez lui. Pendant huit jours, il se prépare à cet évènement ; non-seulement il a mis en réquisition tout ce qu’il y avait de poisson, de volaille et de gibier sur les marchés de la ville, mais il achète tant de meubles que Fritz et Berbel, ses serviteurs, ne savent plus où les mettre : il fait repeindre sa façade en blanc, et, soit que le peintre ait pris un pot pour un autre, soit que le diable ait brouillé les couleurs, ce blanc de la façade a des reflets roses : il faudrait être aveugle pour le nier.

Quel dîner, bonté divine ! Un vrai repas de noces avant les noces ! Le saumon gros comme un requin, et les écrevisses pareilles à des homards ! Tous les vins de l’Alsace et de la Bourgogne défilent devant le père Axtmann, qui fait claquer sa langue en connaisseur. La mère et ses trois filles trempent leurs lèvres, seulement pour humecter le petit chemin des paroles. Claire raconte par le menu les visites qu’elle a faites, les compliments qu’elle a reçus, et les éloges, ah ! les éloges unanimes qu’elle a récoltés pour Henri. « Mon seul regret, dit-elle, est de n’avoir pas pu rencontrer Adda. Elle n’était ni chez son père, ni chez sa tante Miller, ni chez les grands-parents, ni chez son oncle Jacob. J’aurais tant voulu l’embrasser et partager ma joie avec elle I C’est ma véritable amie ; vous l’avez vue à la maison, n’est-ce pas, Henri ? »

Le docteur répondit sans se troubler, et sa sérénité n’était nullement feinte. Il avait le cœur plein de Mlle Axtmann ; tout lui semblait indifférent, excepté elle. Le souvenir d’Adda Kolb était relégué si loin, qu’il l’apercevait tout au plus comme un point à l’horizon de sa pensée.

Huit ou dix jours après, le mariage se célébra en grande pompe à l’usine de Hagelstadt. La fête ne fut pas seulement somptueuse, elle fut cordiale et touchante. D’abord le maire du village était un vieux serviteur de la famille ; il avait vu Claire tout enfant, il était le confident de ses petits secrets de charité, le distributeur ordinaire de ses bienfaits. Le pauvre homme pleurait à chaudes larmes