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volontiers les mauvaises, capables d’un effort généreux, non moins capables d’une panique. Remercions notre gouvernement de n’avoir pas voulu confier uniquement à une si frêle organisation les destinées de la France.

Au début de notre révolution, nous fûmes aussi souvent vaincus que vainqueurs. Nous dûmes notre salut aux divisions et à l’ineptie de nos ennemis, surtout à l’armée de la monarchie, qui donna à nos braves volontaires de bons exemples, des chefs et le temps d’acquérir de la cohésion et de l’expérience. L’Amérique, à la fin de sa longue guerre civile, a eu, comme aujourd’hui la Prusse, la faveur de la mode. De fort honnêtes gens nous conseillaient alors de congédier la plus grande partie de nos troupes et d’attendre le danger pour imiter l’improvisation militaire des États-Unis. Quelques-uns de nos voisins étant plus ambitieux et mieux préparés que les Peaux-Rouges, ne nous persuadons pas que nous aurons toujours le temps de faire surgir de terre des armées capables de couvrir notre honneur et nos intérêts.

On ne saurait trop admirer l’imperturbable activité de la grande république, incessamment recrutée d’audacieux représentant de tous les pays. Elle se gouverne à son gré, elle sait même se passer de gouvernement. Quand le désordre est dans les pouvoirs préposés au maintien de l’ordre, elle laboure, elle trafique, elle vaque à ses affaires, et ne semble nullement disposée à régler ses comptes par la banqueroute. Voilà ce qui nous charme en elle, voilà ce que nous préférons à la gloire d’avoir dépensé, pour faire rentrer ses provinces insurgées dans l’obéissance, beaucoup plus d’argent que l’Angleterre en vingt-deux ans de guerre, alors qu’elle soudoyait contre nous toutes les armées du continent européen. Si les états du nord avaient eu devant eux un adversaire bien organisé, capable de poursuivre à fond un succès, la déroute de Bull-Runn aurait pu avoir de graves conséquences.

Nos sages, heureux et libres voisins les Suisses ont droit à la sympathie de toutes les nations. Ils ont été souvent pour la France de vaillans adversaires, plus souvent des auxiliaires non moins intrépides. Quoiqu’on 1814 et en 1815 ils n’aient pas essayé de faire respecter leurs frontières, ils défendraient certainement avec beaucoup d’énergie leurs montagnes contre un envahissement dont rien ne justifierait l’odieuse iniquité ; mais quand de très bons Français, qui ne voudraient pas désarmer leur pays, lui conseillent de renoncer à ses institutions militaires pour adopter celles de la Suisse, ils oublient que si des citoyens, même peu exercés au maniement des armes, ont souvent défendu avec honneur des muraiHes, ceux pour qui le métier de soldat n’est qu’un passe-temps doutent