Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/883

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces armées qui, en quelques semaines d’été et dans des contrées très riches, perdent beaucoup plus d’hommes par les marches prolongées et les bivouacs que par le fer et le feu de l’ennemi. On les appelle des armées économiques. Ce n’est pas la population qu’elles économisent ; elle ne pourrait les maintenir longtemps à leur premier effectif[1]

Pour justifier de telles prodigalités d’hommes, pour nous habituer à l’idée de mettre en ligne des générations tout entières., certains publicistes affirment, et le principal orateur du gouvernement a dit au corps législatif dans la séance du 18 mars, que les guerres seront désormais de très courte durée, et qu’un premier choc pourra décider du sort des empires. Il n’est pas utile de nous calomnier nous-mêmes. Si, ce qu’à Dieu ne plaise, les premiers arrêts de la fortune des armes étaient contraires à la France, elle leur serait certainement rebelle. Elle ne doit pas compromettre en une seule fois toutes ses ressources. Les nations qui prodiguent les leurs peuvent seules être contraintes à courber la tête après un premier revers.


III

Abordons maintenant le projet de loi dont l’annonce a tenu pendant plusieurs mois la France attentive et inquiète.

Et cela est donc bien vrai ! Il ne nous suffit pas d’enlever à nos campagnes leurs ouvriers les plus robustes pour les employer à démolir et à reconstruire incessamment les grandes villes, où ils s’habituent au célibat et aux gros salaires sans économie ; il nous faut encore, par l’organisation de trois semblans d’armées, jeter un grand trouble dans le travail national !

Bien que le projet de loi sur l’armée et sur la garde nationale ait eu les première empressemens de notre patriotique curiosité, nous parlerons d’abord de l’exposé des motifs qui le précède.

Souvent habile dans sa longueur et dans une certaine obscurité, cet exposé n’est pas heureux quand, presque au début, il cite ces paroles de Napoléon : « un pays ne manque jamais d’hommes pour résister à une invasion ou pour soutenir une grande guerre, mais il manque souvent de soldats. » Hélas ! dans la campagne de 1814 où, « pour résister à une invasion, » Napoléon déploya les merveilleuses ressources de son incomparable génie militaire, il

  1. La Prusse s’occupe de diminuer sa landwehr en augmentant ses troupes de ligne, dont la victoire a doublé la confiance et la force.