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royale de Dresde ou la Glyptothèque de Munich, mais ils se connaissaient et s’adoraient ; le contact, le frottement et même les cahots inséparables du voyage avaient mêlé intimement leurs natures ; bref ces deux êtres n’en faisaient plus qu’un. Il est superflu d’ajouter qu’ils n’avaient pas de secrets l’un pour l’autre.

Cependant le docteur ne raconta point à madame sa petite déconvenue de la maison Kolb, l’histoire de cet amour écrasé dans l’œuf sous le sabot des bons parents. S’il n’en dit rien à Claire, ce n’était pas qu’il craignit de la rendre jalouse, ou que lui-même gardât au fond du cœur un reste de dépit. Non, il se tut par la simple raison qu’il avait presque oublié l’aventure. Cela avait duré si peu ! Son cœur avait été si légèrement effleuré I Et surtout tant de choses s’étaient passées depuis ! L’impitoyable brutalité du bonheur présent refoulait tous les souvenirs à des distances fabuleuses. Adda Kolb ? Quelle Adda ? B avait un siècle de trois mois qu’il n’avait rencontré cette jeune personne I

Mais Adda Kolb se souvenait encore. Sa seule occupation durant ce bienheureux trimestre avait été de souffrir. Le temps lui sembla long, à elle surtout, car elle comptait les instants par ses anxiétés et ses douleurs, et s’étonnait qu’en si peu de jours on pût verser tant de larmes.

On ne plaint pas assez les jeunes filles, croyez-moi. Voici un joli petit être, sincère, doux, aimant, qui s’est laissé aller sans résistance au penchant d’une honnête sympathie. Elle aime ou peu s’en faut, elle a quelques raisons de se croire aimée ; mais les mœurs ne lui permettent ni de laisser voir sa préférence ni de poser la question d’où dépend tout son avenir. Son lot est d’observer, d’attendre et de se taire. Ses parents même l’accuseraient d’effronterie, si elle s’expliquait nettement avec eux. Tout le monde s’accorde à la vouloir inerte, passive, sans ressort ; on lui saurait quelque gré d’être en outre un peu sotte ! On permet à tous les célibataires indistinctement de rôder autour d’elle ; on la laisse s’éprendre, ou à peu près, du professeur Marchai. Bah ! la chose est sans conséquence ; il n’y a que le cœur en jeu ! Mais le jour où M. Marchai, comme un brave garçon, demande à épouser celle qu’il aime, ah ! tout change. — Comment, monsieur ! ce n’était pas pour vous moquer d’elle et de nous que vous cajoliez notre fille ? Vous pensez sérieusement à lui donner votre nom ? Sortez d’ici bien vite et n’y revenez pas avant qu’on vous appelle ! Vous êtes trop pauvre, ou trop vieux, ou trop je ne sais quoi, peu importe ; notre fille n’est pas pour vous ! — Mais je l’aime ! — Tant pis ! — Et si elle m’aimait ? — Impossible ! — Mais enfin, je lui ai fait la cour ; elle m’a toujours vu empressé auprès d’elle ; que va-t-elle penser de moi, si, brusquement,