Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/91

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’était-ce pas assez du chanoine pour ramener M. Marchal ? Fallait-il qu’il eût l’air d’arriver entre deux gendarmes ?

Mais il ne vint ni seul ni accompagné ; la pauvre Adda l’attendit en vain tout le jour. Le souper de famille n’offrit rien de particulier ; on y parla de la pluie et du beau temps ; le père ne parut ni plus joyeux ni plus maussade, ni plus préoccupé que de coutume. Tout le monde fut naturel, excepté Mue Adda, qui riait à tout propos pour dissimuler ses angoisses. Enfin l’on se leva de table, et bientôt les amis du soir, éteignant leurs lanternes et accrochant leurs manteaux dans le vestibule, envahirent le salon. Adda ne doutait point que le docteur ne fût dans les premiers, et peut-être, s’il était venu, aurait-elle commis l’imprudence de lui dire : Quoi de nouveau ? — Mais tout le monde fut exact, excepté lui, et par une odieuse fatalité on ne risqua pas la moindre réflexion sur son absence. La pauvre enfant disait au fond du cœur : — Dieu ! que le monde est égoïste ! Personne ne me fera donc la charité de prononcer son nom ? »

Pourquoi ne trouva-t-elle pas le courage de le prononcer elle-même ? Parce qu’elle était une jeune fille bien élevée et accoutumée dès l’enfance à réprimer ses mouvements naturels.

A dater de ce soir-là jusqu’au moment où le mariage du professeur fit explosion dans la ville, les jours de Mlle Kolb se suivent et se ressemblent. Elle lit, elle rêve, elle pleure, elle fait un peu de musique et beaucoup de tapisserie, elle danse après souper avec les jeunes gens de la ville et répond à leurs compliments par un sourire pâle et glacé. Les amis de la maison soupçonnent quelque chose, mais entre l’arbre et l’écorce personne n’ose risquer un doigt. Le chanoine, interrogé discrètement par ses intimes, a répondu plus discrètement encore. Toutefois, comme il est bon homme, il se fait un devoir d’amuser Adda ; il prend un abonnement de saison au théâtre. Adda se laisse mener comme un agneau de boucherie ; mais il est trop facile de comprendre qu’elle n’est bien nulle part. Sa santé ne parait pas formellement menacée, cependant ses couleurs s’effacent, son humeur tourne au sombre : — Allons, bon ! dit le monde, encore une fille qui languit ! »

C’est dans une tournée de visites, en compagnie fie sa mère, qu’elle apprendra la grande nouvelle. — Eh bien ! mesdames, vous savez ? le professeur Marchal épouse Claire Axtmann ; quelle fortune, pour votre médecin ! — Elle reçoit le coup en pleine poitrine et tombe sur le dos, carrément, sans onduler, comme un soldat pris de face par un boulet. On s’empresse, on la délace, on ouvre une fenêtre : c’est le poêle du salon qui est trop chaud ; ces maudits poêles n’en font jamais d’autres I