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de deux cents ans pour la détruire. L’édit de prohibition date de 1660, et la liberté d’exportation n’est devenue complète que par la loi de 1861. Quesnay avait pourtant dit, il y a un siècle, ce qui aurait dû la protéger : tel est le débit, telle est la reproduction, ou en d’autres termes : plus on vend de céréales, plus on en produit. La liberté d’importation étant alors entière et même favorisée par le gouvernement, Quesnay n’a pas eu à s’occuper de cette seconde partie de la question.

On peut aujourd’hui trouver banale la maxime suivante. Tout le monde comprend qu’il y a un immense intérêt public à faciliter les transports à l’intérieur, mais il n’en était pas tout à fait de même alors. Henri IV et Sully, dont l’école économique a souvent invoqué l’exemple, avaient travaillé de leur mieux aux voies de communication ; cette tradition s’était perdue sous Louis XIV, et à l’exception du canal des deux mers, œuvre de génie d’un seul homme, on n’avait rien fait sous ce règne pour ouvrir aux transports des voies nouvelles ou pour réparer les anciennes. Les écrits de Quesnay et de ses amis rappelèrent l’attention sur cet important sujet, et l’école eut l’honneur de compter dans ses rangs Trudaine, l’illustre fondateur des ponts et chaussées.

« 18. — Qu’on ne fasse point baisser le prix des denrées et des marchandises dans le royaume, car le commerce réciproque avec l’étranger deviendrait désavantageux à la nation ; telle est la valeur vénale, tel est le revenu ; abondance et non-valeur n’est pas richesse, disette et cherté est misère, abondance et cherté est opulence.

« 19. — Qu’on ne croie pas que le bon marché des denrées est profitable au menu peuple, car le bas prix des denrées fait baisser le salaire des gens du peuple, diminue leur aisance, leur procure moins de travail et d’occupations lucratives, et anéantit le revenu de la nation.

« 20. — Qu’on ne diminue pas l’aisance des dernières classes de citoyens, car elle ne pourraient pas contribuer à la consommation des denrées. »

À la suite de la dépopulation qui avait marqué les dernières années de Louis XIV, les denrées alimentaires avaient baissé ; le prix du blé, qui avait été en moyenne de 20 fr. l’hectolitre de notre monnaie pendant les trois quarts du XVIIe siècle, était tombé de moitié. Le gouvernement, érigeant en principe ce qui n’était qu’un accident, triste résultat de nos longs désastres, cherchait par tous les moyens à empêcher les prix de se relever, afin, disait-on, de rendre plus facile la subsistance du peuple, sans songer que ce bon marché même arrêtait les progrès de l’agriculture et par conséquent ceux de la population. Quesnay s’élevait contre cette erreur en revendiquant ce que lui et son école appelaient le bon prix, c’est-à-dire le prix naturel, tel qu’il devait résulter du rapport de la production