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de la ville comme la végétation d’une forêt vierge. Aujourd’hui Brousse, à demi détruite par les incendies et les tremblemens de terre, n’étale plus dans un cadre de verdure les dômes étincelans de ses cent cinquante mosquées ; mais la nature en orne toujours les ruines. Bans les murailles antiques, dorées par le temps, derniers restes de la ville de Prusias, grimpent et fleurissent les arbustes sauvages, et sur les bords du Vallon céleste, qui s’enfonce à pic au milieu de la ville, se penchent des jardins suspendus entourés d’énormes haies de roses blanches qui se balancent et s’effeuillent sur le précipice.

Et la montagne elle-même est un jardin immense où habitent, parmi les tombeaux des santons et des prophètes, les derviches musulmans, qui ont remplacé dans ces solitudes les anachorètes chrétiens ; Il semble que l’Olympe ait toujours conservé l’attrait d’un lieu sacré, et les Turcs l’appellent encore « montagne des Moines. » On chemine longtemps, au-dessus de Brousse, dans une forêt de noyers, de charmes et de cerisiers, où se jouent les chevreuils et où chantent les rossignols. Sur le premier plateau, planté de grands châtaigniers, on rencontre un petit monument qui a gardé sa légende. Le jour où fut prise Constantinople, un prêtre priait à Sainte-Sophie. Au moment où Mahomet II entrait à cheval dans la basilique, le prêtre monta sur la coupole, et, s’élevant dans les airs, s’enfuit sur le mont Olympe, où s’est ainsi perpétuée sa mémoire.

Peu à peu la forêt s’éclaircit : à la région des chênes succède celle des hêtres ; mais l’herbe que l’on foule est encore épaisse et fleurie, et des bandes de perdrix s’élancent bruyamment de leurs retraites de verdure. Bientôt la montagne, de plus en plus austère, se dépouille : des rochers gris et nus s’entassent au fond des escarpemens, on dirait l’écroulement d’une ville énorme. De hauts sapins dressent leurs troncs bruns dans les crevasses ; leurs branches se détachent vigoureusement sur la neige étincelante, dont les premières nappes se montrent ça et là. Enfin on ne rencontre plus que des pins rabougris dont tous les vents du ciel ont tourmenté et tordu la tige, et qui s’accrochent avec énergie à un sol glacé ; puis toute végétation s’arrête : on touche au front de neige et de marbre de l’Olympe, que surmontent trois dômes dont la blancheur éblouit. Là toute vie est suspendue ; parfois seulement quelque grand aigle traverse la solitude, et le battement de ses ailes est le seul bruit qui anime encore un instant la demeure vide de Jupiter.

Certes l’horizon que l’on découvre de cette cime est digne d’une pareille montagne. Au loin brillent deux mers : la Mer-Noire au-delà du golfe d’Ismidt et de Nicomédie, la mer de Marmara le long