Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 69.djvu/1013

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

montre. Le besoin de plaire, l’ambition du premier rang, la vanité altérée de louanges, se rencontrent partout où il y a des femmes ; mais tel ou tel entourage, telles ou telles circonstances, peuvent singulièrement ajouter à ces dispositions, à ces penchans instinctifs. Commencez par admettre à la place de cette beauté souveraine qui s’impose à l’admiration de tous, que personne ne songe à contester et que d’incessans triomphes ont pour ainsi dire lassée d’elle-même, une de ces figures irrégulièrement attrayantes, dont le charme inexplicable peut être à chaque instant remis en question. Supposez ensuite, dans une société aussi rigoureusement hiérarchisée que l’est celle de nos voisins, une de ces situations mixtes où les dédains peuvent vous atteindre, où par conséquent les hommages vous deviennent doublement précieux ; ajoutez à ceci, chez une personne d’esprit, la conscience d’une éducation incomplète, le besoin de racheter cette espèce de tare, de donner d’éclatantes revanches à un amour-propre secrètement froissé ; compliquez tous ces mobiles, déjà si puissans, de l’espèce de vertige auquel est exposée la fille d’un gentleman-farmer lorsqu’un hasard. inespéré la jette éblouie dans le tourbillon de la vie mondaine, et vous ne vous étonnerez point trop que, même protégée contre tous ces entraînemens par une affection de bon aloi, une enfant inexpérimentée puisse jouer l’avenir de sa vie, compromettre sa réputation, perdre ses droits à un amour dont elle était fière, et se trouver en définitive… played out, — hors de jeu, si vous voulez, — victime de ses inconséquences, dupe de ses illusions et des succès qui les ont nourries.

Comme la grande majorité de ceux qui liront ces lignes, nous connaissons la banalité de cette donnée première. Aussi, qu’on veuille bien le remarquer, ce n’est point le récit même que nous cherchons à mettre en relief, c’est l’analyse toujours très fine et quelquefois remarquablement subtile des sentimens, des idées, des préoccupations qui constituent la coquetterie. Il n’était donné qu’à une femme, à une femme très bien douée, de mettre ainsi à vif sous l’incessante caresse de son pinceau une figure qui, séduisante au début, s’accentue, se marque, se flétrit, sans perdre dans le cours d’un récit prolongé l’attrait dont elle était, dont elle demeure investie. Cet attrait, elle le doit à l’habileté avec laquelle l’auteur a su mettre en opposition et balancer l’une par l’autre, en ménageant scrupuleusement ses effets, les qualités et les imperfections d’une nature éminemment complexe. Une coquette froide et sans cœur n’intéresse guère ; celle-ci est au contraire tout acquise à l’impulsion du moment ; aucun calcul, aucun mensonge prémédité ne la dégrade. C’est pour ainsi dire en dépit d’elle-même, soyons plus exact, c’est parce qu’elle reste elle-même, égarée par les emportemens divers de son impétueuse et volage nature, qu’on la voit accepter tour à tour les adorations qui flattent son orgueil et attestent sa puissance. Plus clairvoyante et plus sensée, elle ne méconnaîtrait pas la solidité du lien qui rattache à Roydon Fleming, elle ne