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Austin et M. George Meredith[1]. Le premier, dans son roman de Won by a head (gagné d’une tête), finit par réunir à Florence tous les acteurs d’un drame commencé en Angleterre, et nous donne une spirituelle esquisse de la vie du monde dans la « cité des fleurs. » Il y a là une famille Vanari et surtout une coquette nomade, la marquise Anastasie de Bonnefoi, qui ressemblent à tout autre chose qu’à des créations de pure fantaisie. Il y a aussi, dans le chapitre intitulé Where is Lily ? quelques pages fort poétiques sur Rome et la campagne romaine, dont l’aspect grandiose et mélancolique Inspirait jadis de si belles pages à l’auteur des Paroles d’un croyant, de si beaux vers à l’auteur d’il Pianto.

La Vittoria de M. G. Meredith est une suite de son Emilia in England, dont quelques-uns de nos lecteurs ont peut-être gardé le souvenir. Sandra Belloni, transportée au conservatoire de Milan par le grec Périclès, ce type excellent de vieux dilettante, devient sous ce nom de guerre, Vittoria, une cantatrice de premier ordre et, fidèle à ses instincts patriotiques, met son talent au service de la cause nationale. Mêlée à tous les complots, elle sert de Tyrtée aux insurrections populaires et se voit en butte aux rigueurs de la police autrichienne. Comment raconter les innombrables péripéties d’une existence où les soucis de l’artiste, les jalousies de coulisses, les rivalités amoureuses, se compliquent de voyages incessans, de ténébreuses menées, d’enlèvemens, de combats, d’espionnages, de duels, le tout précipité, enchevêtré, confus et assez obscur pour déconcerter l’intelligence la plus prompte, l’attention la plus soutenue. L’imagination et l’esprit sont deux excellens dons, pourvu qu’on n’en fasse point abus. C’est la conclusion à laquelle on est inévitablement amené devant cette composition luxuriante, où chaque chapitre est un coup de théâtre, devant ce récit touffu, où l’air manque, pour ainsi dire, où la lumière se fait désirer et attendre, où les personnages se meuvent à la vapeur et comme essoufflés par leurs courses vertigineuses. Ajoutons, pour n’être point injuste, que çà et là, par éclaircies, par échappées si vous aimez mieux, on entrevoit au sein de ce désordre efflorescent le coup d’ongle du lion, les vestiges d’un talent qui, s’il était réglé, pourrait devenir magistral. N’omettons pas non plus, — comme signe du temps, — la tendance presque mazzinienne du roman de M. G. Meredith.

Ce n’est point en Italie, mais en plein XVIIIe siècle que nous avons à suivre M. Ch. Reade. il date son récit d’il y a cent ans. Nous lui donnerions volontiers cent ans de plus en songeant à ce que nous a légué de coquet, d’aimable et fleuri cette époque de décadence, où tant de menuets furent dansés sur le volcan des révolutions déjà sourdement frémissantes.

  1. Voyez, sur les poèmes de M. A. Austin, la Revue du 15 septembre 1865. M. George Meredith est l’auteur d’un roman (Emilia in England) que nous avons publié sous le titre de Sandra Belloni dans les livraisons du 15 Novembre, 1er décembre et 15 décembre 1884.