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imaginer qu’il poursuivait la plus facile des entreprises, car jamais parmi les princes de la terre il n’avait eu affaire à plus faible partie. La vérité était pourtant qu’à son insu il s’était lancé au contraire dans la plus périlleuse des aventures. La violence déployée contre le saint-père ne pouvait en effet manquer de jeter au milieu des intérêts catholiques du monde entier une funeste perturbation, dont ses propres états allaient être les premiers à ressentir promptement le contre-coup. Chose singulière, et qui fait ressortir le bizarre agencement des affaires humaines, le chef de l’église romaine s’était aliéné le chef de la grande démocratie française pour avoir intrépidement défendu contre ses prétentions princières l’honneur de la fille protestante d’un modeste citoyen des États-Unis ; il était destiné à se voir enlever ce qui lui restait des lambeaux de son pouvoir temporel parce que, n’étant point en guerre avec l’Angleterre, il ne voulait point consentir à lui fermer ses ports.

Un rapide coup d’œil sur ce qui se passait alors en Europe est nécessaire pour expliquer comment le cours des événemens amena peu à peu une situation aussi extraordinaire.


III

De notables changemens étaient survenus en Europe depuis qu’au printemps de 1805 l’empereur et le saint-père avaient pris congé l’un de l’autre. La cérémonie de son couronnement à Milan n’avait pas en effet tellement absorbé l’attention de Napoléon qu’il n’eût trouvé le temps, durant son séjour de l’autre côté des Alpes, de mettre toutes choses sur un pied nouveau dans le nord de l’Italie. Il avait définitivement réuni Gênes à l’empire, donné la principauté de Lucques à l’une de ses sœurs et organisé l’état de Parme comme une dépendance de la France. Ces remaniemens de territoires, si désagréables à l’Autriche, qui n’avait pas encore renoncé à l’espoir de rentrer un jour en possession de ses provinces lombardes, avaient été habilement exploités par l’Angleterre. Elle en profita pour attirer dans son alliance cette puissance depuis longtemps sollicitée par elle, mais demeurée jusqu’alors dans la plus timide irrésolution. L’adhésion du cabinet de Vienne aux traités déjà signés par l’empereur de Russie constituait une véritable coalition à laquelle ne manquait plus désormais que l’assentiment de la Prusse. Cet assentiment devenait lui-même assez probable, car si à Berlin le ministère tenait à rester ostensiblement en bons termes avec nous, la famille royale se montrait, depuis l’attentat contre le duc d’Enghien, profondément aliénée, et l’on peut dire de cette cour qu’elle n’attendait qu’une occasion propice pour prendre enfin parti contre nous. Ces projets de ses ennemis