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condamnée comme un crime, les prisonniers, qui se mouraient du « mal des prisons » dans d’infâmes geôles, se virent visités, secourus, consolés ; des hommes intrépides, nobles émules des missionnaires catholiques, se répandirent dans l’Inde et l’Australie. Noble et saint enthousiasme, mais qui, comme tous les enthousiasmes, hélas ! ne devait être que passager ! Vingt-cinq ans ne s’étaient pas écoulés que l’église-basse était retombée dans le marasme et l’insouciance du siècle précédent.

L’esprit d’abord si large de la nouvelle école évangélique ne tarda pas à se rétrécir. Les grands préceptes d’humanité et de dévouement donnés par les Wilberforce avaient fait place aux pratiques du plus sec judaïsme. La théorie calviniste de la justification et de la grâce se transforma en une véritable croyance au fatalisme, et toute règle religieuse se réduisit à la stricte observance du sabbat. L’ignorance du clergé égala bientôt son fanatisme. Dédaigneux de toute étude, le low-churchman vit dans sa Bible le livre unique et absolu, contenant toute science et toute philosophie. Pieusement groupée autour de la chaire, la foule des fidèles entendait chaque dimanche proclamer révélation divine les faits les plus condamnés par la morale, les théories les plus démenties par l’expérience. Tel jour, on lui proposait comme œuvre pie les criminels attentats d’une Judith ou d’une Jaël ; telle autre fois, elle devait assister à une longue dissertation sur la nature ruminante du lièvre. Et malheur à celui qui eût osé élever la voix !

Cet inintelligent gouvernement des âmes avait rapidement détaché de l’église plus d’un fidèle. Le scepticisme commençait à gagner le peuple, non pas ce scepticisme éclairé, fils de l’examen et de l’étude, mais cette brutale indifférence des masses pour une morale devenue insuffisante et pour des pratiques vieillies. « L’indifférence nous gagne, et l’athéisme nous dévore, s’écriait amèrement alors la Revue d’Edimbourg, le peuple rejette avec un insurmontable dégoût notre théologie puritaine. A ses yeux, l’Écriture n’est plus que mensonge, et la chaire est un tréteau de charlatan… Que la faute en retombe tout entière sur le fanatisme et l’ignorance de nos pasteurs ! »

Le christianisme subissait en ce moment par toute l’Europe une crise redoutable. La révolution de 1830 venait d’éclater, et ce grand mouvement social et politique s’était, on le sait, compliqué d’un travail de destruction des cultes et des dogmes. A l’école railleuse du XVIIIe siècle, qui niait tout faute de pouvoir rien expliquer, avait succédé une école doctrinale qui en apparence concédait tout, prétendant tout expliquer. Voltaire avait fait place à Strauss. La Vie de Jésus, qui venait de paraître, agitait profondément le public. A la