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ne peuvent pas tout conquérir du premier coup. Ils ne s’exilent pas ou du moins ils n’émigrent que quand ils ne peuvent faire autrement, ils ne conspirent pas ; ils agissent toujours sans repos et sans trêve, avec cette persuasion que rien n’est perdu, que chaque progrès civil ou économique dans le pays dont ils partagent la destinée est une force de plus pour le jour de la délivrance, et que dans tous les cas c’est bien quelque chose de se servir encore des dernières ressources d’une légalité oppressive, ne fût-ce que pour réduire les dominateurs à cet humiliant aveu, qu’ils ne peuvent être que la force. L’Italie a eu depuis un demi-siècle une multitude de ces patiens et infatigables ouvriers, dont le type le plus brillant peut-être est un homme qui a été un instant le coopérateur de Manin et qui est mort il y a trois ans à Turin, avant d’avoir trouvé un rôle égal à ses facultés, au moment où il allait sans doute avoir son jour dans cette vie parlementaire pour laquelle il était si bien fait : c’est Valentino Pasini, un vrai et sérieux patriote sous la figure d’un économiste, d’un financier, d’un homme d’affaires, d’un diplomate.

Ce ne pouvait être un personnage vulgaire, celui dont un écrivain d’un talent élevé, M. César Correnti, retraçait, il y a trois ans, ce portrait que je résume : « esprit lucide et prompt, vaste et heureuse expérience des hommes et des choses, vigueur de travail et de volonté, ferme netteté de langage ; une tête romaine qui pendant quarante ans a suivi le même fil d’idées avec ce que Vico appelle la constance d’un juriste et un caractère vénitien avenant, facile, pénétrant, fait pour manier avec dextérité les affaires les plus scabreuses. Quels livres aurait pu laisser cet homme, s’il eût songé à les écrire, — lui qui, jeune encore, avait connu les vétérans du gouvernement napoléonien et avait recueilli les traditions de cette grande époque, aussi hostile aux théories que riche d’enseignemens pratiques, — lui qui, plus tard appelé dans les conseils de sa ville et de sa province natale, désiré dans les académies, recherché au barreau, avait dû, par devoir de profession et d’honneur, pratiquer des gens de tous les partis, mettre le doigt dans toutes les plaies du pays, voir de près et sur le fait comment l’Autriche même en voulant être juste était poussée par une force maudite, à n’être en Italie que le gouvernement de la soldatesque,… lui qui, en 1848 et 1849, envoyé par la seigneurie ressuscitée de Saint-Marc à Milan, à Turin, à Paris, à Berlin, à Vienne, avait pu voir les Italiens tels qu’ils étaient chez eux dans la bonne comme dans la mauvaise fortune, et tels qu’ils paraissaient de loin aux yeux de l’Europe !… S’il avait pu avoir le temps.de l’écrire comme il se plaisait quelquefois à la raconter, il eût gravé en bronze l’histoire civile et si l’on veut l’histoire secrète de.notre temps… Ce livre qui