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L’Autriche n’eut pas de peine à réprimer d’un revers de sabre cette convulsion inutile, et elle prit ce prétexte pour mettre le séquestre sur les biens des émigrés du lombard-vénitien qu’elle accusait de soudoyer toutes les agitations. Le Piémont qui avait mis tous ses soins à décliner toute connivence dans l’événement de Milan et dont les émigrés étaient devenus les citoyens, le Piémont ne pouvait pour le moment aller au-delà d’une simple protestation qui ne servait à rien, il est vrai, mais qui était déjà le premier anneau de cette chaîne de protestations conduisant à l’éclat de 1859. Pasini, qui était émigré comme les autres sans être citoyen piémontais et qui était frappé avec tous les émigrés, Pasini personnellement réclama et fit réclamer à Vienne contre une mesure qui le frappait pour un acte auquel il était notoirement étranger. On lui fit savoir que le séquestre mis sur ses biens ne pourrait être levé qu’à la condition qu’il rentrerait dans son pays.

Si Pasini eût été seul, il eût hésité peut-être, quoique, à vrai dire, il n’eût cessé de garder une pensée de retour. « Je sais, disait-il lui-même, que certains pensent qu’en aucun cas on ne peut accepter rien de semblable ; je sais que quelques-uns croient qu’il ne faut jamais faire état des intérêts pécuniaires. » Mais voilà ce que les partis ne comprennent pas toujours : le séquestre ne frappait pas seulement l’émigré, il atteignait sa mère, son frère, par suite de l’indivision de la fortune, sa sœur, dont la dot se trouvait compromise, sa femme, dont les biens étaient aussi séquestrés, des créanciers, des légataires, des serviteurs à qui le père avait laissé des pensions. Pasini se décida à faire ce qu’on lui imposait, et, près de partir, il écrivit à Manin une lettre pleine d’une dignité simple où il lui racontait tout, et qui commençait ainsi : « Tu auras lu dans les journaux que je rentre au pays ; mais je ne puis quitter Turin sans t’écrire deux mots, parce que tu es le seul homme à qui je me croie obligé de rendre compte de mes actions. » Manin était homme à comprendre les motifs de délicatesse qui dictaient cette résolution et peut-être à sentir que son ancien plénipotentiaire pouvait être aussi utile à Vicence qu’à Turin. Tout s’était d’ailleurs passé avec dignité ; le mot d’amnistie n’avait pas été prononcé. Ce ne fut pas moins pour Pasini une source d’amers déboires. Sa rentrée était considérée par les partis comme une défection, comme un abandon de Venise, dont il avait eu l’honneur de rester le représentant jusqu’à la dernière heure. — « Quoi ! disait-on, le plus fidèle ami de Manin plier la tête ! » — Cette injustice des partis a longtemps pesé sur lui, et il en fit quelques années plus tard l’expérience.

Rentré à Vicence, il restait ni plus ni moins ce qu’il était, un