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font et dans tout ce qu’ils disent une exubérance de jeunesse qui désarme. On leur sait gré de leurs fanfaronnades parce qu’elles sont naïves, de leur fatuité parce qu’elle est sincère, et de leur sottise parce qu’elle est innocente. Le bon sens est si étranger à leur caractère et la déraison leur va si bien, qu’un mot sérieux dans leur bouche ferait l’effet d’un prédicant huguenot dans un bal de la cour.

Il faut que les ridicules aient la vie bien dure, puisque les marquis survécurent à Molière. Regnard, son charmant héritier, reprit la guerre contre eux et leur porta le coup de grâce :

Eh bien ! marquis, tu vois, tout rit à ton mérite ;
Le rang, le cœur, le bien, pour toi tout sollicite ;
Tu dois être content de toi par tout pays.
On le serait à moins. Allons, saute, marquis !
Quel bonheur est le tien ! Le ciel, à ta naissance,
Répandit sur tes jours sa plus douce influence :
Tu fus, je crois, pétri par les mains de l’amour.
N’es-tu pas fait à peindre ? Est-il homme à la cour
Qui de la tête aux pieds porte meilleure mine,
Une jambe mieux faite, et la taille plus fine ?
Et pour l’esprit, parbleu, tu l’as du plus exquis.
Que te manque-t-il donc ? Allons, saute, marquis !
La nature, le ciel, l’amour et la fortune
De tes prospérités font leur cause commune.
Tu soutiens ta valeur avec mille hauts faits.
Tu chantes, danses, ris mieux qu’on ne fit jamais :
Les yeux à fleur de tête et les dents assez belles.
Jamais en ton chemin trouvas-tu de cruelles ?
Près du sexe tu vins, tu vis et tu vainquis.
Que l’on sort est heureux ! Allons, saute, marquis !

Et le marquis sauta ; mais il reparut bientôt. Ce personnage en effet n’est pas un de ces types qui passent avec les mœurs dont ils sont l’expression. C’est le représentant de cette aimable jeunesse française, oisive et turbulente, vaniteuse et incapable, et qui n’ayant d’autre préoccupation en ce monde que de vivre et de paraître indifférente aux affaires publiques, insouciante des siennes propres, consacre toute l’activité de son âge à se rendre bien ridicule, et y réussit. Donc après les marquis vinrent les roués de la régence, fanfarons de vice et d’incrédulité, puis les incroyables du directoire, qui juraient leur grande parole d’honneur panachée, puis les lions et les dandies, puis nos gandins et (nos cocodès, qui ont tous les travers de leurs aînés : je me trompe, ils en ont un de plus, ils sont moins gais et sentent l’écurie.

Don Juan est un marquis posé à qui la réflexion est venue avec l’âge ; il a perdu les ridicules de sa jeunesse et n’en a conservé que les vices, mais il les a conservés tous. Ce type du grand seigneur libertin est aujourd’hui disparu, partant bon à connaître comme toutes les choses tombées.