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Henriette, qu’on veut marier de force à un pédant, et aussi du bonhomme Chrysale, qui n’est pas le maître à la maison. Elle console l’une et défend l’autre, car ces bonnes créatures sont toujours du parti des opprimés.

MARTINE.
Ce n’est point à la femme à prescrire, et je sommes
Pour laisser le dessus en toute chose aux hommes.
CHRYSALE.
C’est bien dit.
MARTINE.
Mon congé cent fois me fût-il hoc,
La poule ne doit point chanter devant le coc.
CHRYSALE.
Sans doute.
MARTINE.
Et nous voyons que d’un homme on se gausse
Quand sa femme chez lui porte le haut-de-chausse.
CHRYSALE.
Il est vrai.
MARTINE.
Si j’avais un mari, je le dis,
Je voudrais qu’il se fit le maître du logis.
Je ne l’aimerais point s’il faisait le jocrisse,
Et si je contestais contre lui, par caprice,
Si je parlais trop haut, je trouverais fort bon
Qu’avec quelques soufflets il rabaissât mon ton.


Maître Jacques joue auprès de l’avare le double rôle de cocher et de cuisinier. Triste condition que la sienne ; mais ce qui l’afflige surtout, c’est le tort que se fait Harpagon dans le monde par sa ladrerie, car après ses chevaux ce qu’il aime le mieux, c’est encore son maître.

Sganarelle est déjà loin d’être un parfait modèle des vertus de l’antichambre. L’air des grandes maisons commence à devenir malsain pour les domestiques. Ce n’est pas que les sophismes de don Juan aient altéré son bon sens : il condamne en secret sa conduite, gémit de ses scandales, défend contre lui Dieu, la morale et la médecine ; mais il s’exhale du personnage je ne sais quel parfum de gourmandise, d’égoïsme et de cupidité qui contraste singulièrement avec ses beaux principes.

Au XVIIIe siècle, valets et maîtres ne sont plus unis que par le lien fragile de l’intérêt. Frontin est un madré compère qui exploite les vices du patron, et en le flattant le conduit tout doucement à sa ruine. Lisette, son associée, le seconde de son mieux dans cet honnête emploi. Tout dans la maison est à la discrétion du couple avide, la garde-robe, le cellier, le coffre-fort. Ils prélèvent sur les commissions, reçoivent de toutes mains, font argent de tout et grossissent leur épargne des épaves du naufrage. Quand le désastre sera complet, lourds de bagage, légers de scrupules, ils s’évaderont sans bruit, se marieront et feront souche d’honnêtes gens.