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vanité mesquine et son ambition puérile. Au lieu d’attendre les reproches d’autrui, il commence par se critiquer, et fait de ses propres actes le sujet d’un persiflage à froid. C’est une confession générale, sans contrition, sans remords. Loin de chercher à pallier ses fautes, il les met en saillie, et insiste avec affectation sur ses reviremens, sur ses inconséquences ; ne se croyant ni meilleur, ni pire que son époque, il ne lui vient pas à l’idée qu’on pour fait incriminer quelque peu sa conduite. Sans hypocrisie, sans jactance, il se peint tel qu’il est. La connaissance qu’il a du cœur humain lui fait trouver toutes naturelles les petites misères morales qu’il partage avec ses semblables. Il a parfaitement la conscience de ses défauts et de ses travers, mais il se les pardonne, et bien qu’on ne soit pas dupe de sa bonhomie malicieuse, on lui sait gré de ne pas chercher à nous tromper. L’auteur a du moins ce mérite de ne pas se donner pour un grand philosophe, de ne point se draper dans une dignité de commande ; les grands de la terre l’éblouissent et l’attirent comme autant de soleils dont il est le satellite obéissant. Rudoyé par Napoléon, il est au comble du bonheur parce qu’après une scène de reproches et de sévérité le souverain lui tire l’oreille. « Tout est oublié, s’écrie-t-il, tout est réparé, embelli par ce geste de familiarité impériale. Je suis sensible jusqu’à la faiblesse. Me voilà revenu tout à coup à l’affection et à la reconnaissance. » Sous les Bourbons, il s’exalte outre mesure à la suite d’une conversation avec le comte d’Artois. « Ce tête-à-tête, dit-il dans un élan de joie naïve, ce tête-à-tête qu’autrefois je n’aurais pas osé rêver, cette présence si douce et si aimable, m’attendrirent jusqu’aux larmes. Je n’avais rien éprouvé de pareil avec Napoléon. Il n’était pas le fils de saint Louis. » Un jour qu’il reçoit de Louis XVIII une faveur, il tombe dans « l’extase où était Mme de Sévigné devant Louis XIV, qu’elle regardait comme le plus grand des rois au sortir du bal où il lui avait fait l’insigne honneur de danser avec elle. »

Pourquoi M. Beugnot est-il ainsi en adoration devant les souverains ? C’est que les souverains donnent les places, et M. Beugnot est ambitieux. Il appartient à cette classe si nombreuse d’hommes politiques qui croient que la chose publique prospère lorsque leurs propres affaires vont bien, mais augurent mal de tout gouvernement qui se passe de leurs services. Tout le charme dans le pouvoir, les titres, les honneurs, la déférence des subalternes, le plaisir d’avoir un portefeuille sous le bras, de rédiger, de corriger, de signer un document. Bien loin de ressembler au duc de Choiseul, qui trouvait qu’il y a toujours assez d’encre dans l’écritoire d’un ministre quand il y en a ce qu’il faut pour signer son nom, M. Beugnot aime à écrire. Il apporte dans le style administratif la prétention d’un bel esprit et la vanité d’un auteur. Le maniement des affaires l’intéresse et l’amuse ; il est enchanté d’être en évidence. Ministre du grand-duché de Berg, il se réjouit de voir les princes allemands, ses voisins, comme il les appelle, lui rendre en prévenances tout ce que Napoléon leur donnait en frayeur. Au