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poésies détachées ne valent pas autant que les drames, la pensée générale de l’auteur se développe progressivement dans l’ordre des dates ; le paradoxe devient erreur, l’audace devient immoralité.

Althée, épouse d’Oïnée, reine de Calydon, en Étolie, eut pour fils Méléagre, brave et farouche comme Mars, que les poètes lui ont même donné pour père. Sept jours après la naissance de ce prince, les trois Parques étaient entrées dans la chambre de sa mère et avaient annoncé à celle-ci que la vie de l’enfant était attachée à la durée d’un tison qui brûlait dans le foyer. Quand ce brandon à demi consumé se réduirait en cendre, sans effort, sans blessure, la vie s’exhalerait des lèvres de Méléagre. Althée se précipita de son lit, éteignit le bols fatal et l’enferma précieusement. Ce jour-là, elle devint puissante comme la fatalité. En veillant sur ce tison à demi consumé, non-seulement elle sauvait son fils, l’héritier de son sang violent et sauvage, elle le rendait invulnérable, et lui ôtait le seul frein de la force humaine, la crainte de la mort. Il dût être un vrai prince étolien : à une race d’hommes grossiers, vêtus de peaux de bêtes, le pied droit chaussé d’une bottine, l’autre ira afin de bondir plus vite sur la proie, devait convenir un prince qui tue ses oncles pour une peau de sanglier. Il avait une femme et des enfans ; mais Atalante, l’amazone arcadienne, lui plut, et il voulut avoir des enfans de la chasseresse. Cet amour fut sa perte. La destinée eut son jour quand Méléagre irrita sa mère, sa mère armée d’un pouvoir surhumain. En délaissant l’épouse que lui avait donnée Althée pour prendre Atalante, en contraignant les guerriers de Calydon d’admettre une femme à leur expédition contre le sanglier envoyé par Diane irritée, en tuant les frères de sa mère pour s’emparer de la dépouille du monstre, dont il voulait faire présent à sa chasseresse, Méléagre fit désirer sa mort à celle qui lui avait donné la vie. Le tison, mesure fatale de son existence, fut jeté avec l’angoisse d’une mère qui se venge dans le même foyer, par la même main qui l’en avait retiré autrefois avec la précipitation de la terreur.

Tel est le sujet du Méléagre exposé sur la scène grecque, autant du moins que nous pouvons l’apercevoir à travers le récit mythologique d’Apollodore, les vers ingénieux d’Ovide et les fragmens peu nombreux d’Euripide, Que pouvait devenir un tel sujet, entre les mains d’un poète du XIXe siècle ? Je crois que, dans une imitation même de l’antique, il n’était pas possible de développer cette action comme le faisaient les anciens, de situation en situation, avec les incidens qui viennent naïvement, mais fortement nouer cet ensemble, cette marche que nous pouvons à peine appeler une intrigue. On n’imagine pas un poète moderne développant une