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pendant la nuit, par quelles fraudes ils échappent au danger de l’appel nominal qui se fait régulièrement dans les mosquées. Il en résulte une lutte continuelle entre les zélateurs et la population, qui, sous peine d’amende ou de coups de bâton, est bien obligée de courber la tête devant eux. Les péchés ne se commettent pas moins ; mais ils se cachent. La corruption, si activement pourchassée, n’en est que plus profonde. Ce qui est surprenant, c’est que le règne des zélateurs ait si longtemps duré ; mais Feysul ne plaisantait pas sur ce chapitre, il avait peur du choléra. Le parti wahabite est tout puissant ; le peuple, habitué à l’obéissance passive, n’a pour se défendre que l’hypocrisie, et il en use largement.

Un jour que M. Palgrave dissertait théologie avec un noble wahabite, ancien zélateur et très versé dans la doctrine, il osa l’interroger sur la question des péchés. Il apprit d’abord que le premier des grands péchés consiste à rendre les honneurs divins à une créature, — ce qui n’est autre chose que le polythéisme, — et que le péché qui vient immédiatement après est l’usage du tabac. Fumer cela s’appelle boire la honte ; le tabac, c’est la honte. — Et le meurtre, l’adultère, le faux témoignage et les autres crimes du même ordre ? — Pour ces péchés, Dieu est miséricordieux. — Ainsi donc il n’y a que deux péchés graves ; le reste est véniel et peut être pardonné ? — Précisément. — Mais d’où vient cette sévérité pour le tabac ? demanda timidement M. Palgrave tout en protestant de son horreur personnelle pour la plante maudite. — Le wahabite répondit que le tabac est une substance enivrante et à ce titre contraire à l’esprit de Mahomet. Il ajouta que, selon les paroles du prophète, on ne doit rien boire ni manger qui ait été brûlé ou cuit à la flamme, et que l’action de fumer est comprise dans cette interdiction. — Ces raisons pouvaient être aisément contestées ; mais M. Palgrave dut renoncer à en obtenir de plus solides. Dans sa pensée, l’interdiction du tabac ne fut pour Wahab qu’un moyen de créer parmi ses disciples un signe de ralliement par lequel on pût les reconnaître d’une manière certaine. De plus le tabac comme le vin étant un élément social et civilisateur qui rapproche les hommes, cela suffit pour qu’il soit également prohibé. M. Palgrave développe cette thèse avec des argumens assez ingénieux, fondés sur le caractère général de la religion musulmane. J’avoue cependant que ces argumens, ne m’ont point paru beaucoup plus décisifs que ceux de l’ancien zélateur. Il est un fait, c’est que le tabac est absolument interdit dans le Nedjed, et que cette interdiction très étrange figure en tête des articles de foi du catéchisme wahabite. Laissant de côté les motifs, nous pouvons dire que la conséquence est très rassurante pour ceux qui redoutent l’expansion de la secte nouvelle et qui rêveraient d’une invasion arabe. Au temps