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vient de la quitter. Tous les détails ont le même caractère. Les héros du siége de Troie, de retour chez eux, racontent leurs exploits après boire, tout à fait comme les légionnaires romains. Paris est un petit-maître qui, à la table même de Ménélas et en sa présence déclare son amour à Hélène avec tous les procédés qui seront plus tard décrits dans l’Art d’aimer. Hélène, qui n’est pas insensible à la beauté du Phrygien, est pourtant fort embarrassée pour lui répondre. C’est la première lettre d’amour qu’elle écrit, et elle envie le bonheur des femmes qui ont plus d’habitude qu’elle, felices quibus usus adest ! Nous voilà bien loin d’Homère, et il n’est pas surprenant que les admirateurs fervens de l’antiquité se soient plaints qu’Ovide l’ait profanée ; mais pour comprendre ses ouvrages il faut les lire comme il les a composés et ne pas lui demander ce qu’il ne voulait pas faire. Ce n’est pas un de ces artistes sévères qui cherchent à se pénétrer des chefs-d’œuvre antiques et à les reproduire avec respect. Il joue sans cesse avec le passé, il a le sourire aux lèvres quand il en parle. On a bien eu raison de le comparer à son compatriote l’Arioste ; il lui ressemble par la façon dont il traite les vieux souvenirs et les anciennes légendes. Tous deux aiment à les raconter, mais tous deux ne se font aucun scrupule de s’égayer en les racontant ; ils se tiennent à mi-chemin entre le sérieux et l’ironie. C’est ce qui fait leur principale originalité, c’est ce qui leur a donné leurs plus grands succès. Virgile nous dit que de son temps la mythologie était usée ; Ovide l’a rajeunie en la dénaturant, et tous ceux qui lisaient ses vers, étonnés du charme nouveau qu’il savait donner à ces vieux récits, surpris de voir ces héros redevenir chez lui vivans et jeunes en s’accommodant à leurs usages, à leurs opinions, à leur vie, le proclamaient sans hésiter le premier poète de son temps.

Ces éloges étaient sans doute exagérés, mais au moins ils étaient sincères. Cette société se retrouvait en lui et se louait elle-même en le louant. Personne ne la représente mieux qu’Ovide. C’est lui qu’il faut lire, si l’on veut savoir ce qu’elle était devenue dans la seconde moitié du règne d’Auguste. Étudiée dans ses ouvrages, elle ressemble peu aux portraits de fantaisie qu’on en fait d’ordinaire. On a coutume de s’apitoyer sur elle, et on la plaint beaucoup d’avoir perdu la liberté. La perte est grande assurément, mais elle la supportait sans peine. Comme elle avait vu seulement les derniers et désastreux combats soutenus pour la défendre ou pour la remplacer, on peut dire qu’elle en avait souffert sans la connaître. Aussi ne l’a-t-elle jamais regrettée. Elle appartenait tout entière au présent ; pas plus qu’Ovide, elle n’avait de ces retours importuns de mémoire qui jettent toujours quelque amertume dans les plaisirs