Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 69.djvu/616

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

remettait à flatter et à prier, comme si l’âme cruelle et dédaigneuse de Tibère pouvait être sensible à la prière ou aux flatteries. Il était occupé à revoir son poème des Fastes pour y introduire quelques allusions au nouveau règne et quelques éloges de plus de l’ancien quand la mort le surprit à cinquante-neuf ans.

L’exil d’Ovide et les incidens qui s’y rattachent appartiennent à l’histoire politique de Rome autant qu’à son histoire littéraire. Ils nous font assister au déclin de ce règne dont Horace et Virgile avaient salué les débuts triomphans. Ils nous montrent par quels degrés un prince qui jusque-là avait usé modérément de son autorité, attristé par le mauvais succès de ses réformes, aigri de la résistance inattendue qu’elles rencontraient, impitoyable pour tous ceux qu’il soupçonnait de l’avoir encouragée, fut entraîné par sa colère à s’écarter de la conduite habile et généreuse qu’il avait suivie, et, après s’être glorifié longtemps de respecter la liberté de parler et d’écrire, finit par condamner les écrivains à l’exil et les livres au feu, en sorte que, selon le témoignage de Dion, il devint à charge aux Romains, qui l’avaient tant admiré, et que le monde se sentit soulagé quand il mourut. Les dernières années d’Auguste, comme celles de Louis XIV, nous enseignent qu’il est difficile au pouvoir absolu de se maintenir et de durer, et que le temps, qui affermit les autres régimes, use celui-là. C’est une leçon qu’il importe de recueillir, et il faut bien remarquer qu’elle est d’autant plus convaincante qu’on accorde à ces princes plus de qualités et de talens. J’ai peine à comprendre ces imprudens amis de la liberté qui croient la servir en établissant, au mépris de l’histoire, qu’Auguste n’était qu’un fourbe médiocre et Louis XIV qu’un égoïste solennel. Si on les croit sur parole, les partisans du pouvoir absolu ne manqueront pas de prétendre que ce gouvernement n’est pas responsable de l’usage maladroit qu’on en a fait, et il se trouvera sans doute quelque ambitieux qui, se croyant plus habile que les autres, ne désespérera pas de réussir où ils ont échoué. Au contraire, en accordant à ces grands hommes tous les éloges qu’ils méritent, on peut dire que l’expérience est faite et qu’on n’a plus aucun besoin de la recommencer. C’est l’enseignement que nous donne l’histoire des dernières années d’Auguste étudiées dans les ouvrages d’Ovide.


GASTON BOISSIER