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nommé par voie d’élection, il aurait presque tous les suffrages. La religion n’en conserve pas moins sa légitime, influence dans son domaine naturel.

Il est certains vices, comme l’ivrognerie, contre lesquels on n’a guère besoin d’invoquer le secours de la morale religieuse, tant ils sont peu répandus. Ce n’est pas à dire que la population n’aime point les occasions de plaisir ; il s’en faut de beaucoup. On est ardent à courir les fêtes patronales, les fréries, comme on les appelle ; on transforme les jours de marché en jours de dissipation. Les plus gênés parmi les métayers paient leur tribut à cet entraînement. Ce n’est pas seulement au dehors et dans les assemblées publiques qu’on voit s’épanouir le "goût des individus pour les réunions. Il éclate dans la vie des familles, notamment à l’occasion des mariages, qui entraînent toujours des réjouissances plus ou moins prolongées. On le retrouve aussi dans chaque maison le jour traditionnel où le métayer prépare ses provisions d’hiver en immolant un porc. Chacun réunit alors ses parens et ses voisins et emploie pour les bien recevoir toutes les ressources qu’il possède.

Au fond, et de quelque manière qu’elle se manifeste, cette tendance vers les joies prises en commun, qui réclame une règle et un frein, montre le goût qu’éprouvent les individus pour tout ce qui les rapproche, pour tout ce qui les met en contact les uns avec les autres. Si elle engendre des abus, elle témoigne aussi d’un vif instinct de sociabilité et aide à former des liens souvent utiles ; volontiers au besoin on se prête la main. Le trait le plus fâcheux dans une population, c’est l’indifférence de chacun pour le mal des autres, indifférence qui serait encore un détestable calcul, quand même elle ne serait pas un signe d’affaissement moral. Les incidens journaliers de la vie attestent à tout moment que ce genre d’insouciance répugne ici aux mœurs publiques. Pendant que j’étais à Montaigne, l’incendie d’une pauvre chaumière perdue dans les champs, loin de toute autre habitation, avait fait accourir au milieu de la nuit tous les hommes valides dans un rayon de près de deux lieues.

Si l’on est très communicatif avec ses égaux, on se montre en même temps fort accueillant pour tout le monde. Il n’est guère possible d’entrer chez un cultivateur sans qu’il vous offre tout ce qu’il peut offrir : le vin de son cellier, son pain le plus frais, un morceau de lard ou de confit. On a besoin parfois de toute son énergie pour empêcher que cette cordiale hospitalité ne devienne embarrassante. On sait d’ailleurs être poli envers les supériorités sociales et se montrer sensible à des témoignages d’intérêt. Qu’à cette ardeur dans les relations ne corresponde point communément