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autrement ? Le métayer n’a qu’une idée : tirer tout de suite de la terre le plus qu’il peut, sans s’inquiéter s’il la fatigue et l’épuise. Supposez un moment que la durée des baux dans les fermes les mieux conduites de la Flandre, de la Beauce ou de la Normandie se trouve réduite à un an, et que le prix du fermage y consiste dans la moitié des produits, vous verriez bien vite l’agriculture perdre le niveau dont elle est si fière. Telles années où les cultures ne sont que des acheminemens à d’autres suffiraient pour ébranler la situation du fermier. Bientôt la moitié perçue en nature par le propriétaire tomberait également au-dessous du fermage actuel.

Sans doute, et nous l’avons déjà laissé entendre, la limite à une année n’exclut point le renouvellement du bail par voie de tacite reconduction, sans qu’il soit nécessaire de recourir au notaire. Que de cette façon certains métayers restent longtemps attachés à la même exploitation, qu’il soit aussi de l’intérêt bien entendu des propriétaires de conserver les mêmes familles, rien de plus évident. Les deux intérêts ne peuvent que souffrir du changement. En principe, ces suggestions du bon sens ne rencontreront jamais de contradicteurs ; seulement les faits sont là, et leur voix parle assez haut. Quoique la clause relative à la durée soit commune aux deux parties, elle n’en est pas moins véritablement dirigée contre le métayer, à qui elle ravit toute sécurité du lendemain. Dès que la rupture dépend de la volonté du propriétaire, tous les exemples qu’on citerait en fait de prolongation ne suffiraient point pour constituer une garantie.

Cette limitation des engagemens à un an a été établie au profit du maître, comme un moyen de prévenir les fraudes, les dissimulations, les détournemens si redoutables dans cette imparfaite association que constituait le métayage ancien. Ni d’un côté ni de l’autre on ne croyait et on ne croit point encore à la similitude dès situations. Le métayer se regarde comme étant plus faible, plus désarmé, moins libre que le propriétaire, et dès lors, suivant une pente naturelle à l’homme, même dans des sphères beaucoup plus élevées, il reste convaincu qu’il est sacrifié dans le contrat, à peine l’acte est-il signé que l’antagonisme se révèle par mille traits plus ou moins imprévus. Écoutez les propriétaires, surtout les petits propriétaires, et vous reconnaîtrez bientôt chez eux l’invincible appréhension que leur associé ne cherche incessamment à grossir sa part à l’aide de moyens illégitimes. Que cette crainte, moins imputable aux caractères qu’au système, soit souvent mal fondée, qu’il y ait nombre de métayers honnêtes, incapables de recourir à des détournemens, c’est un fait incontesté. Combien de fois n’ai-je pas entendu des hommes possédant eux-mêmes des métairies, ou d’autres vivant dans des relations constantes avec des métayers, rendre