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ramène vivement vers sa quenouille ; les deux bras, se faisant contrepoids et pendans, sont placés à la hauteur de la tête, qu’ils découvrent tout en l’encadrant. Les traits sont fins, presque grecs par l’élégance, les cheveux retroussés laissent voir les tempes, le visage est jeune d’une expression très douce et modelé par une main déjà habile ; les bras nus, relevés comme les anses d’un vase antique, sont d’une grâce parfaite et font valoir le torse ; toute la partie inférieure est couverte d’une draperie, sans raideur, qui tombe sur des pieds charmans. L’auteur de cette statue est sans contredit un homme de talent ; il sait son métier et il paraît respecter son art. Malheureusement la patine de sa figure a singulièrement souffert ; elle est inégale et dès lors différente, vert foncé en bas, vert grisâtre dans la partie supérieure. On dirait notamment que le visage et les cheveux ont été striés par la pluie. Rien ne serait plus facile que de remédier sur place à cet inconvénient ; un réchaud, un pain de cire vierge et un morceau de flanelle suffiraient.

M. Protheau avait exposé en 1857 une statuette, Nourrice indienne, qui était un petit chef-d’œuvre de finesse et d’expression ; aujourd’hui son groupe de l’Innocence et l’Amour se distingue par des qualités sérieuses qui feraient concevoir de très hautes espérances, si la mort ne les avait brisées par un de ces coups prématurés et inattendus auxquels elle s’exerce avec une cruauté que rien ne fléchit. Quoique le sculpteur ne soit plus là, sa statue nous reste pour prouver ce qu’il aurait pu faire, s’il eût vécu. C’est un vieux sujet que l’Amour et l’Innocence, mais le talent peut tout rajeunir et donner des forces nouvelles aux mythes épuisés par l’abus que l’on en a fait. Une jeune fille est assise et serre contre sa poitrine avec un geste à la fois naïf et pressant le petit dieu plus féroce que badin. La pose est sans prétention et par cela même mérite d’être louée. L’Innocence a un visage dont l’expression, légèrement étonnée, est peut-être un peu trop insignifiante. Je ne crois pas du reste que l’auteur y ait mis la dernière main ; il n’aurait pas laissé, j’en suis convaincu, cette large arête du nez, qui paraît plus large encore sous le jour brutal qui l’éclaire. Il semble avoir gardé tout son talent, toute son habileté pour amener à l’état de perfection les mains, les bras, les pieds de l’Amour ; cette partie est traitée avec un soin recherché, étudiée minutieusement sur nature, et fourmille de jolis détails que ne déparé pas une certaine afféterie. les extrémités de la jeune fille révèlent un ciseau rompu à toutes les difficultés du métier, les draperies sont bonnes, et l’ensemble, malgré une sorte de mollesse générale, est plaisant et digne d’éloges.

M. Carrier-Belleuse expose deux groupes considérables. Si parfois nous avons critiqué la façon trop matérielle dont il traitait certains sujets, nous avons toujours reconnu en lui une adresse peu