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traités à satiété. Il y a des tableaux qui sont presque des plagiats, et si Eugène Delacroix, revenu tout à coup du monde glorieux qu’il habite, traversait le Salon, il pourrait reconnaître et saluer sa Médée, son Enlèvement de femme arabe, un groupe de son Massacre de Scio et une bonne partie de son Assassinat de l’évêque de Liège. M. Ponsard peut être fier : dès l’an dernier, on parlait du Galilée qu’il a fait représenter dernièrement à la Comédie-Française, aussi les Galilées ne sont pas rares à cette exposition ; mais ils ne font qu’une concurrence inoffensive à celui du poète. Comme toujours, il y a beaucoup de femmes nues ; je voudrais qu’on pût les réunir toutes les unes auprès des autres, ce serait fort instructif, et l’on pourrait embrasser du regard les différences essentielles qui existent dans la façon de voir des peintres. Depuis les tons bruns de M. Henner jusqu’aux tons laiteux de M. Boutibonne, il y a pour rendre la couleur chair une inconcevable variété de teintes, et qui serait inexplicable, si l’on ne savait que chaque individu voit et analyse les nuances d’une manière absolument spéciale. Cela est vrai aussi pour les étoffes. La même draperie bleue, uniformément éclairée, copiée en même temps par vingt peintres différens, sera reproduite avec vingt colorations différentes. On peut affirmer que nul n’est certain de voir juste et d’arriver à faire passer sur la toile la nuance précise qu’il a sous les yeux.

S’il y a beaucoup de nudités, il n’y a pas moins de portraits. Les gens décorés, — et il n’en manque pas, — ont mis toutes leurs croix pour se faire peindre ; il y a des figures placides et vieillottes qui sont étranglées par trois ou quatre cordons serrés autour de leur cou et du plus singulier effet. C’est souvent une dure nécessité pour un artiste que d’avoir à faire un portrait en costume officiel. Pour les magistrats, les rouges et les blancs ne s’harmonisent guère à cause de la disposition obligatoire des couleurs ; pour les soldats, la garance, le bleu foncé, le jaune d’or, jurent et donnent forcément un aspect perroquet aux toiles les meilleures. L’unité de tons est ce qui convient le mieux aux portraits ; les maîtres du XVIe siècle, le savaient bien, et je regrette que les exigences modernes ne permettent pas à nos artistes de faire comme eux. Nous devons dire cependant que MM. Rodakowcki, Kaplincki, Pomey et Cabanel ont exposé de fort bons portraits. La peinture d’histoire, n’est que bien faiblement représentée au Salon, car il est impossible de considérer comme des tableaux d’histoire ces toiles immenses où l’insignifiance du sujet le dispute à la faiblesse de l’exécution. Faire des espèces de peintures à la détrempe sur une toile de vingt pieds où l’observation la plus attentive ne peut arriver à découvrir ni dessin, ni couleur, ni composition, malgré de grandes visées au style, c’est d’une puérilité extrême et que rien