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turban de mousseline blanche, à la vaste robe à grands plis, semblent eux-mêmes une curiosité ambulante, et s’en vont par les rues, criant leur bric-à-brac. Quand ils rencontrent un Européen, ils s’arrêtent, et avec un sourire engageant ils lui disent, en lui présentant quelque hachette ou quelque vieux poignard : Antica, Mameluck, bono, bono ! Celui de M. Gérôme, portant sur le bras de belles défroques roses, offre un sabre à un Arnaute, qui est bien près de se laisser tenter ; un groupe s’est formé auprès du marchand, et chacun donne son avis. Au fond, on aperçoit une boutique près de laquelle un chien roux est accroupi dans la pose du dieu Anubis, et l’on voit deux femmes enveloppées de manteaux blancs qui rentrent dans leur maison. Tout cela est exact et d’une observation très juste. On peut reprocher à M. Gérôme d’avoir le trait un peu sec et la coloration souvent trop aiguë ; mais, lorsque le temps aura mis sa patine puissante sur ses toiles, elles s’harmoniseront dans une teinte douce et profonde. De plus, elles auront cet avantage fort appréciable de ne pas perdre en vieillissant, car elles sont faites et poussées aussi loin que possible.

M. de Tournemine quitte aujourd’hui l’Asie-Mineure et les bords du Danube, il s’en va vers l’intérieur de l’Afrique et vers l’Amérique du Sud à la suite des voyageurs, qui sont parfois de bons conseillers. Les Perroquets et Flamans, les Éléphans d’Afrique sont deux jolies compositions pleines d’air, de coloris, où le peintre, accusant son modelé plus que d’habitude, a mis toutes les qualités qui lui sont familières. Les grands éléphans, qui, les pieds dans l’eau, se détachent en vigueur sombre sur le soleil couchant, sont d’un effet réussi qui remet en mémoire une des toiles les plus singulières de Decamps. On peut reprocher au premier de ces tableaux d’avoir traité l’histoire naturelle avec trop de sans-façon, et je pense que M. Paul Marcay, sur le texte de qui M. de Tournemine s’est appuyé, n’a jamais vu au Pérou le kakatoès rose, qui ne vit qu’à la Nouvelle-Hollande, ni le kakatoès à huppe rouge, dont le vrai nom, Psittacus moluciensis, indique assez qu’il est originaire des Moluques. Ce genre de critique, je le sais, n’est guère admis par les artistes, mais il n’en est pas moins sérieux. les documens que l’on peut consulter abondent, et intervertir la faune des pays, c’est commettre volontairement une erreur qu’il est facile d’éviter, et qui ne devrait jamais se rencontrer aujourd’hui.

M. Théodore Rousseau a fait un grand effort pour produire une œuvre originale, et je crains qu’il n’ait pas atteint le but qu’il se proposait. Sa Vue du lac de Genève (non inscrite au catalogue) a été conçue dans un parti-pris trop manifeste. C’est très fini, modelé ou plutôt pommelé avec un soin rare, mais que de coups de