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artillerie. Celle-ci ouvrit un feu violent auquel l’artillerie légère des Russes répondit avec un certain succès. Au bout d’une heure, comme un peu d’indécision se manifestait dans les rangs de la cavalerie boukhare, le général Romanovski lança toutes ses troupes contre les retranchemens de l’émir, qui furent enlevés avec beaucoup de résolution : les artilleurs ennemis furent passés à la baïonnette, et six pièces russes, mises en position sur les retranchemens conquis, couvrirent de leur feu les lignes intrépides, mais décimées et démoralisées des Boukhares. Un renfort arrivé fort à propos aux Russes sous le commandement du colonel Kraievski contribua, par sa présence et par quelques coups de ses pièces rayées, à disperser l’ennemi, qui tenait encore, et qui, une fois en fuite, ne s’arrêta pas même à défendre ses deux camps échelonnés sur la route du sud. Le premier fut occupé le soir même, l’autre le lendemain matin : on trouva la tente de l’émir pleine de tapis, de divans et de tout l’assortiment du luxe asiatique. L’émir lui-même ne s’arrêta qu’à Djizak, où il arriva suivi seulement de deux mille cavaliers et ayant abandonné sur la route les deux seules bouches à feu qu’il eût réussi à emmener. Il laissait sur le champ de bataille un millier de morts et aux mains des vainqueurs dix canons et un énorme matériel de guerre ; Ce fut là la bataille d’Irdjar, qui décida en quelques heures du sort de la moitié du vaste pays en litige.

Romanovski ne perdit pas de temps pour mettre à profit cette brillante victoire. Comme son prédécesseur à Djizak, il se trouvait en face d’une alternative fort grave : ou marcher en avant et poursuivre un ennemi démoralisé, ou continuer patiemment, ville par ville, la soumission du Khokand. Le second parti était le plus effacé, mais le plus sûr et le plus utile. Même avec l’adjonction du petit corps de Kraievski, le corps expéditionnaire ne dépassait pas deux mille six cents hommes. Il n’avait évidemment pas à craindre une seconde lutte en rase campagne, il n’eût pas eu de difficultés sérieuses à forcer les remparts délabrés de Samarkande et à s’y établir en attendant le moyen de marcher en avant ; mais c’était jouer une partie très hasardeuse. D’Irdjar à Samarkande, on compte environ quatre-vingt-dix lieues, des routes difficiles commandées par cinq forteresses occupées par l’ennemi, une steppe de vingt lieues de parcours entre Oratupa et Zamin, et un défilé facile à défendre à une étape après Djizak. L’armée russe, arrivée à Samarkande, trouvait aisément à vivre dans un pays plantureux et peu disposé à la recevoir en ennemie ; mais d’autre part l’émir n’était pas assez découragé pour ne pas continuer la lutte, et si son armée avait littéralement fondu après Irdjar, comme toutes les armées orientales après une défaite, elle pouvait se reconstituer en huit jours