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ruine, un monceau de plâtras, éboulés, et les chefs-d’œuvre de Gluck qu’on exhume, tout en servant à la plus grande gloire d’une administration, auraient bientôt fait de compromettre sa fortune. Ménager de son mieux ces ouvrages, source et ressource dernière, les renouveler en quelque sorte par l’attrait de l’exécution et de la mise en scène, voilà pour le moment l’unique affaire d’un directeur de l’Académie de musique, attendu que dans sa spéculation les opéras nouveaux et les ballets, nécessaires pourtant, entrent pour bien peu de chose et relèvent beaucoup plus du cahier des charges que de la feuille des bénéfices. A l’heure où nous écrivons, l’attrait n’a pas besoin d’être accru, nulle modification ne semble indispensable ; le public empressé, avide, furieux, la cohue de l’exposition universelle suffit à tout ; l’ordinaire de la maison : Robert le Diable, — avec Mlle Battu chantant Isabelle, Mlle Mauduit dans Alice, M. Gueymard jouant Robert, son meilleur rôle, — fait des recettes de douze mille francs. Partout ailleurs même affluence, et tandis qu’au Théâtre-Lyrique le Roméo et Juliette de M. Gounod et la Martha de M. de Flottow remplissent la salle à qui mieux mieux, à l’Opéra-Comique le Fils du Brigadier, qu’on jouait naguère devant les banquettes, voit les populations accourir à sa rencontre. Après ce concours. des nations, si favorable aux exploitations théâtrales, commenceront pour l’Opéra les beaux jours de sa nouvelle salle, et s’il est vrai qu’on veuille profiter de l’occasion pour remettre entièrement à neuf le répertoire, pour ravitailler, régénérer et rajeunir par l’étude tant de belles choses désapprises à force d’être sues, pour remplacer toute cette friperie, toute cette défroque du passé par des décors et des costumes de nature à rendre aux générations contemporaines leurs illusions perdues, on verra quelle interminable carrière peuvent encore fournir les ouvrages composant le répertoire. Chateaubriand, s’étonnait des larmes que contiennent les yeux des rois ; j’aime à supposer que le directeur du nouvel Opéra, pour peu qu’il sache se montrer habile, trouvera un sujet non moins vaste et taon, moins pathétique d’étonnement et de consolation dans l’inépuisable force d’attraction que renferment des chefs-d’œuvre tels que les Huguenots, Don Juan, Guillaume Tell et l’Africaine.

Les instrumens sont comme les livres, ils ont leurs destins. Le violon, qu’on croyait perdu, s’est retrouvé, et tout l’hiver il n’aura été question que de ce roi des instrumens et de ses ministres tenant séance au Conservatoire, aux concerts populaires, à l’Athénée, séances presque toujours intéressantes et dont quelques-unes ont laissé des souvenirs qui ne s’effaceront point. Je parle de celles où se faisait entendre M. Joachim jouant Beethoven et Mendelssohn, pénétrant son assemblée de je ne sais quel sentiment particulier d’admiration respectueuse. L’art des maîtres ainsi compris, ainsi rendu, se rapproche évidemment d’un enseignement moral. Si l’on pouvait faire autre chose que rêver pendant ces adagios sublimes qui vous remuent jusqu’au fond de l’être, on agiterait en soi des problèmes