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ambigus rentrent finalement dans la seconde catégorie. Cette distinction est fondamentale dans la question, car la divination par voie d’observation extérieure était entachée de fausseté dès son origine, et malgré la poésie de quelques-unes de ses formes rien de vrai ni d’utile ne pouvait sortir de là. Il n’en reste plus aujourd’hui que deux ou trois superstitions roulant sur les jours et les nombres néfastes qu’on est tout surpris de retrouver encore, non pas professées, mais subies par plus d’un esprit distingué.

Tout autre fut la destinée de la seconde espèce de divination, celle dont on attribuait la faculté à certains hommes exceptionnellement doués. Il y avait là un germe moral et même philosophique très capable de développement, et qui, moyennant une série d’épurations et de transformations rationnelles, s’épanouit de nos jours dans la philosophie de l’histoire. Sans doute à l’origine on ne regarda pas si loin, et le mantis, l’inspiré, « l’enthousiaste » (car ce nom et des noms tout voisins lui furent très souvent appliqués) ne fut rien de plus qu’un devin qui croyait entendre en lui-même ce que les autres croyaient lire dans la nature ; mais enfin, même à ce degré inférieur, la divination rentrait dans le domaine des faits spirituels. Elle exerçait la sagacité, elle était observatrice et poétique. Le poète, le vates, est dans les premiers temps un devin non moins qu’un chantre. Le délire poétique, la vaticinatio, vient des dieux, parle leur langue, et cette langue est prophétique. Est-ce pour cela que, comme le poète, le devin antique est souvent aveugle, comme si son regard tourné en dedans, absorbé par la lumière divine, resplendissant à l’intérieur de son être, dédaignait le jour grossier qui doit suffire aux autres ? En particulier, l’idée que le favori du ciel doit être exceptionnellement moral se greffe comme d’elle-même sur cette manière de concevoir la divination. L’homme ou la femme, pour être en communion avec la Divinité, doivent être chastes, observateurs de la foi jurée, incorruptibles, et ils seraient d’infidèles interprètes, si, comme cela peut arriver souvent à la nature indifférente, ils annonçaient la réussite des projets iniques ou l’impunité des criminels. Que cette divination se dégage du cercle d’intérêts mesquins où elle se meut à l’origine, qu’elle soit consultée dans les grandes crises de la cité ou du pays, qu’elle s’inspire d’une foi profonde dans l’ordre moral, qu’elle se dirige d’après des principes élevés, et bientôt la prédiction cessera de se borner à une sorte de bonne aventure improvisée pour devenir une prédication pleine de chaleur, de poésie et de puissance. C’est sur ce terrain que nous rencontrerons le grand prophétisme hébreu.

Voici en effet le point de bifurcation de ces deux courans grec et israélite qui semblent confondus à l’origine. Avec le temps, la