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la sagesse était évidemment de plier devant l’orage et de compter sur les chances meilleures que ne pouvaient manquer de susciter un jour les incessantes révolutions qui faisaient passer successivement le sceptre de l’Asie des mains des Assyriens à celles des Chaldéens, de ceux-ci aux Mèdes et aux Perses (en attendant les Grecs). Malheureusement il y eut toujours chez le peuple d’Israël ou du moins dans la haute aristocratie militaire qui le dominait un fatal désir de jouer un grand rôle politique en fondant un grand empire. L’orgueil de race et même l’orgueil religieux leur firent concevoir les plus funestes illusions. On peut dire que depuis Salomon jusqu’à la destruction du dernier temple par Titus, ce fut le mauvais génie d’Israël qui lui souffla cette ambition disproportionnée à ses forces comme à ses aptitudes. Le messianisme belliqueux et conquérant, qui le rendit sourd au messianisme spirituel et pacifique tel que l’avait conçu Jésus, et qui le précipita dans les indicibles horreurs de la guerre contre les Romains, forme aux derniers jours de son histoire comme nation le pendant exact des chimères qui perdirent. Le royaume d’Ephraïm sous Sargon, roi d’Assyrie, et le royaume de Juda sous le Chaldéen Nébucadnetzar. Ainsi les prophètes sont justifiés par l’histoire, qui prouve qu’autant le peuple d’Israël était prédestiné à influer puissamment sur le développement religieux du monde, autant il était incapable de constituer jamais un de ces grands empires qui représentent toute une civilisation. Sans doute les prophètes ne renonçaient nullement à l’idée qu’un avenir temporel des plus glorieux était réservé à leur nation ; mais cet avenir devait lui être octroyé par la main de Dieu, non pas conquis par les moyens vulgaires de la force et de la ruse. Il fallait donc en attendant se concentrer dans sa vocation religieuse. Pressez un peu cette théorie, et vous verrez s’en dégager la distinction entre les « choses de César » et les « choses de Dieu, » entre le temporel, et le spirituel, que Jésus devait un jour proclamer.

Sur ce terrain des idées religieuses, le rôle du prophétisme d’Israël est immense. C’est lui qui épure et développe le monothéisme. C’est chez lui et chez quelques poètes lyriques animés de son esprit que se concentre le mouvement progressif : non pas que le prophétisme entendît le progrès comme nous, c’est-à dire comme l’avènement successif de choses nouvelles et meilleures ; les nouveautés qu’il enseignait, conséquences de principes antérieurement admis, lui faisaient toujours l’effet d’être aussi vieilles que ces principes eux-mêmes. Aussi trouve-t-on dans les livres des prophètes très peu de données positives sur l’histoire réelle de fa religion israélite antérieurement au VIIIe siècle, et le grand problème de cette histoire, celui qui consiste à se demander quel a été au